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    Le chrysanthème ne poussait pas au jardin de mon enfance. Cette fleur m'est pourtant familière ; notre voisin la cultivait, en professionnel ; on habitait en face du cimetière. A la Toussaint, les pots de fleurs envahissaient les trottoirs ; levé tôt, notre voisin frottait ses mains pour les réchauffer sous la bise de novembre ; les gens passaient, silencieux et engoncés dans d'épais manteaux, une écharpe autour du cou, s'arrêtaient gravement, emportaient un chrysanthème, puis allaient au cimetière, le déposer sur la tombe d'un être cher, dans un recueillement lourd et silencieux. La mort, le souvenir, je ne savais pas trop ce que cela voulait dire. Et ce n'est bien plus tard que j'ai compris le sens de ces mots, et qu'alors j'ai écrit ce petit poème sur le chrysanthème :

    Tu n'as pas la beauté ni l'éclat d'une rose

    D'une larme furtive parfois on t'arrose

    Quand novembre fleurit sur les tombes de pierre

    Où dorment pour toujours ceux qu'on aimait hier.

    Tu n'as pas la beauté ni l'éclat d'une rose

    Je t'effleure pourtant de mes deux lèvres closes

    Car avec nostalgie, oui toi, le chrysanthème

    A ceux qui ne sont plus, tu dis encore je t'aime.


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    Après la torpeur lourde de l'été aux couleurs exubérantes, voici l'automne, la plus émouvante et la plus douce des saisons ; une vague tristesse parfois nous étreint, mais le raisin chasselas aux senteurs cuivrées nous tend ses promesses imminentes d'ivresse, et la nature s'habille aux reflets de l'or qui coule à profusion des feuilles qui jaunissent ; c'est alors qu'au jardin s'épanouit le dahlia. Le velours délicat et satiné de ses pétales illumine de teintes flammées le vieux mur de pierre, qui frissonne sous le ciel vaporeux des matins qui fraîchissent. Le dahlia s'offre alors à nous dans la beauté infiniment changeante de ses teintes et de ses formes ; ce sont tantôt de lourdes fleurs dolentes, grandes comme des soleils couchants à l'horizon d'octobre, tantôt des fleurs rayonnantes de pétales violacés bordés de blanc ; tantôt aussi des boules, plus petites et arrondies, quand le dahlia se fait pompon, tout en douceur et en courbes ; tantôt enfin il se hérisse : c'est le dahlia cactus, avec ses fins pétales, dressés comme des épines : il rayonne, lumineux avec les roses délicats et les oranges flamboyants de ses fleurs effilées, souvent panachées de jaune paille. Fragile au vent d'automne, le dahlia s'appuie sur les tuteurs du jardinier prévenant. Trait d'union entre la marguerite de l'été et le chrysanthème presque hivernal, le dahlia allume les derniers feux de l'automne dans les jardins adoucis par la brume, et qui soudain évoquent les tableaux nostalgiques de Gustave Caillebotte, quand il peignait les dahlias de sa propriété de Gennevilliers, vers 1885... Il y a dans la beauté presque désuète du dahlia quelque chose d'immuable, d'éternel, comme la tendresse surannée d'un souvenir que l'on chérit par delà les années, par delà le temps.... Au jardin de mon enfance, c'était la saison des premiers froids ; et quand les dahlias se courbaient, alourdis sous la pluie glacée, je rentrais vite à la maison ; là, bien au chaud près du poêle, je feuilletais le catalogue de Manufrance, et je retrouvais alors dans ses prunelles de topaze tout l'or pailleté de l'automne....


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    En bas de ma rue, il y avait un petit escalier ; à peine passé le temps des cerises vermeilles, lorsque revenait la chaleur de l'été, le petit escalier explosait de fleurs et d'odeurs. Les branches épineuses des églantiers, que l'on avait oubliées pendant la saison froide, s'étaient garnies au printemps d'un feuillage nouveau. De la verte frondaison avaient jailli d'abord des épines acérées, bientôt dissimulées par l'abondante floraison des pâles églantines. L'été venu, le mur de pierre, craquelé sous le soleil, disparaissait sous l'avalanche parfumée de ces tendres petites roses farouches, toutes blanches, qui n'en finissaient pas de nous offrir, chaque jour, le bouquet toujours renouvelé de leurs corolles délicates... Il y a de la beauté sauvage dans l'églantine en fleurs... Aux premiers souffles de septembre, quand l'approche de l'automne mettait dans l'air des senteurs de feuilles mortes, les églantines se défaisaient, s'abandonnaient, épuisées, recouvrant bientôt le sol d'une couche serrée de pétales fanés. Ne restaient alors que leurs fruits, une multitude de baies orangées qui transformaient l'églantier en un buisson ardent aux teintes flamboyantes... J'allais alors les cueillir, et je revenais à la maison, les doigts écorchés par les épines, mais avec, dans mon panier rempli, une belle récolte que ma mère transformait en une confiture parfumée, à la consistance un peu épaisse et à la saveur si particulière, vaguement douceâtre ; finement étalée sur une tranche de pain de campagne, la confiture d'églantine est un régal, souvent oublié de nos jours mais que l'on goûte encore en Alsace. Mais l'églantine est aussi une fleur facétieuse : parmi les baies récoltées, j'en mettais quelques-unes de côté : celles-là ne finiraient pas en confiture. Je les ouvrais, je recueillais à l'intérieur les fibres velues qui s'y cachaient : elles constitueraient, une fois séchées, le précieux poil à gratter, accessoire indispensable à l'école pour égayer les récréations !.... Mais le temps a passé sur mes étés trop courts ; et dans ma rue d'autrefois, il n'y a plus d'églantier ; il n'y a plus d'enfants non plus ; ils ont grandi, comme moi ; et chacun est parti vers les quatre horizons... A quoi servirait encore un églantier dans le petit escalier ? Il n'y a plus personne pour regarder ses fleurs, plus personne non plus pour préparer la confiture. Notre enfance au loin s'en est allée, et le vent d'octobre souffle sur nos souvenirs... Nous n'irons plus en bas, la rue est désertée, l'églantier que voilà, un jour on l'a coupé..... 


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    J'ai toujours aimé l'automne, la plus éblouissante et la plus douce des saisons, celle où la nature frissonne et s'habille aux couleurs de l'or et du feu. Quand j'évoque ce temps d'autrefois, des souvenirs affleurent, et il me revient en mémoire des images et des senteurs tenances, toujours les mêmes : l'odeur de cuir d'un nouveau cartable, le bois aromatique du cèdre des crayons de couleurs dans mon plumier de bois verni, le tissu rugueux de ma blouse grise toute neuve. Mais en évoquant les jours plus courts de septembre, je me rappelle aussi la beauté des asters. Dans le jardin de mon enfance, l'aster remplaçait le colchique qu'on trouve dans les prés : il marquait, comme lui, la fin de l'été. Soudain, les bordures des allées s'étoilaient en d'innombrables bouquets ; on eût dit des petites marguerites, serrées les unes contre les autres, toutes bleues avec un coeur jaune vif. Elles étaient si nombreuses que le feuillage disparaissait sous les fleurs. Le vent parfois tournait au nord, et dans la fraîcheur du matin, un peu de rosée faisait briller les feuilles aux premières heures du jour : insensiblement on s'acheminait vers les frimas... J'aimais l'automne et j'aimais les asters ; leur bleu froid, mélancolique et léger, dessinait sur le sol comme un reflet du ciel d'été, souvenir des beaux jours encore si proches... Et en même temps, ils avaient encore sur eux les couleurs de juillet, avec leur coeur jaune et rond comme un soleil. Ces petites fleurs disaient la venue de l'automne, et en même temps elles annonçaient l'école, les nouveaux camarades, les billes à la récréation, et le soir, bien au chaud à la maison, les grappes dorées du chasselas sur la table familiale ; et puis, au bout de ce trimestre, à l'horizon lointain et proche de décembre, j'imaginais déjà Noël, la crèche, les cadeaux au pied du sapin, dans l'odeur de la résine et des bougies dont les petites flammes illumineraient bientôt les branches... Oui, il y avait tout cela, comme une promesse de guirlandes et de lumières, dans les petites bordures d'asters, que je regardais à l'automne... Les premières bourrasques soufflaient, les feuilles des marronniers craquaient sous les semelles de bois de mes galoches, alors je me promettais de bien travailler à l'école, et pensif, je cueillais un aster que j'effeuillais lentement, avec application, sans bien savoir pourquoi, mais avec plein d'espoir au fond du coeur : un peu... beaucoup.... passionnément, à la folie !... Et les minuscules pétales des asters tombaient au sol, tandis que, pensant à Noël, j'égrenais en mon coeur les souhaits tout bleus de mes rêves d'enfant....


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  • Après la distribution des prix, dans les derniers jours de juin, je rentrais à la maison avec au coeur un peu d'orgueil et sous le bras beaucoup de livres, noués ensemble d'un beau ruban rouge ; le maire, Georges Marrane, m'avait donné l'accolade à la Salle des Conférences, m'avait félicité pour mon prix d'excellence, et encouragé à bien travailler encore à l'avenir. L'avenir...... un mot bien vague quand on a sept ans... Mon avenir c'était le présent ; et le présent c'était que l'école était finie. Commençait alors la longue période des grandes vacances, jusqu'à la rentrée des classes, en octobre... Mais "vacances", pour moi, c'était un mot presque aussi inconnu que "avenir" : on ne partait pas ; ou alors pas tous les ans : juste une semaine ou deux chez un oncle, en Alsace. Alors c'était la rue qui était notre principale villégiature ; on s'amusait, on vagabondait, on observait, tout était neuf à notre curiosité ! Or, dans son jardin, notre voisine avait un buddleia ; et justement, c'est pendant les grandes vacances qu'il était fleuri ! Planté tout près de la clôture, l'arbre étendait ses branches un peu partout ; désordonnées, échevelées, elles débordaient au dehors, envahissant le trottoir de grappes violettes, opulentes et parfumées. Le buddleia, on l'appelle aussi lilas d'été, avec ses fleurs mauves. Pourtant, si cet arbre me fascinait, ce n'était pas tant pour ses fleurs, que pour les papillons nombreux qui voletaient autour de lui. Car le buddleia a aussi un autre nom : "l'arbre à papillons" !... Et il le mérite bien ; je passais des heures à regarder les papillons ; il y en avait des dizaines, de toutes les tailles et de toutes les couleurs ; les plus petits, tout blancs, voletaient maladroitement, comme des petits bouts de papier éparpillés au vent ; d'autres, plus grands, avaient des ailes jaune paille avec de larges taches noires ; enfin il y avait les plus beaux : leurs ailes étaient de véritables bijoux : des bruns, des rouges, des noirs, mille couleurs agencées en d'éblouissantes mosaïques vivantes ; et tous ces papillons se croisaient dans un ballet virevoltant et saccadé ; puis ils se posaient sur la fleur pour butiner ; tout occupés alors à chercher le pollen, ils s'immobilisaient enfin, écartant largement leurs ailes : quelle beauté alors s'offrait à mes yeux éblouis ; on eût dit des petits tableaux de soie, avec des reflets nacrés et des teintes irisées;.. Spectacle fabuleux de la nature ; le temps passait vite, et il me fallait rentrer, c'était l'heure du dîner... Un soir, on était à table, j'ai posé une question :

    - Ils vont où, tous les papillons, quand ils ont fini de butiner ?... J'ai regardé ma mère, mon père, mon grand-père.... Personne n'a répondu, ils avaient tous le nez dans leur assiette....

    - Mange ta soupe au lieu de poser de drôles de questions ! a juste dit ma mère...

    Petit garçon obéissant ; je n'ai rien dit et j'ai mangé ma soupe... Alors, bien des années plus tard, je ne sais toujours pas où vont les papillons quand ils ont fini de butiner les fleurs de buddleia ! Mais j'ai compris pourquoi personne ne m'a répondu : c'est que la vie est plus belle quand elle garde une part de mystère....


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