•  

    J'ai toujours aimé l'automne, la plus éblouissante et la plus douce des saisons, celle où la nature frissonne et s'habille aux couleurs de l'or et du feu. Quand j'évoque ce temps d'autrefois, des souvenirs affleurent, et il me revient en mémoire des images et des senteurs tenances, toujours les mêmes : l'odeur de cuir d'un nouveau cartable, le bois aromatique du cèdre des crayons de couleurs dans mon plumier de bois verni, le tissu rugueux de ma blouse grise toute neuve. Mais en évoquant les jours plus courts de septembre, je me rappelle aussi la beauté des asters. Dans le jardin de mon enfance, l'aster remplaçait le colchique qu'on trouve dans les prés : il marquait, comme lui, la fin de l'été. Soudain, les bordures des allées s'étoilaient en d'innombrables bouquets ; on eût dit des petites marguerites, serrées les unes contre les autres, toutes bleues avec un coeur jaune vif. Elles étaient si nombreuses que le feuillage disparaissait sous les fleurs. Le vent parfois tournait au nord, et dans la fraîcheur du matin, un peu de rosée faisait briller les feuilles aux premières heures du jour : insensiblement on s'acheminait vers les frimas... J'aimais l'automne et j'aimais les asters ; leur bleu froid, mélancolique et léger, dessinait sur le sol comme un reflet du ciel d'été, souvenir des beaux jours encore si proches... Et en même temps, ils avaient encore sur eux les couleurs de juillet, avec leur coeur jaune et rond comme un soleil. Ces petites fleurs disaient la venue de l'automne, et en même temps elles annonçaient l'école, les nouveaux camarades, les billes à la récréation, et le soir, bien au chaud à la maison, les grappes dorées du chasselas sur la table familiale ; et puis, au bout de ce trimestre, à l'horizon lointain et proche de décembre, j'imaginais déjà Noël, la crèche, les cadeaux au pied du sapin, dans l'odeur de la résine et des bougies dont les petites flammes illumineraient bientôt les branches... Oui, il y avait tout cela, comme une promesse de guirlandes et de lumières, dans les petites bordures d'asters, que je regardais à l'automne... Les premières bourrasques soufflaient, les feuilles des marronniers craquaient sous les semelles de bois de mes galoches, alors je me promettais de bien travailler à l'école, et pensif, je cueillais un aster que j'effeuillais lentement, avec application, sans bien savoir pourquoi, mais avec plein d'espoir au fond du coeur : un peu... beaucoup.... passionnément, à la folie !... Et les minuscules pétales des asters tombaient au sol, tandis que, pensant à Noël, j'égrenais en mon coeur les souhaits tout bleus de mes rêves d'enfant....


    votre commentaire
  •  

    En bas de ma rue, il y avait un petit escalier ; à peine passé le temps des cerises vermeilles, lorsque revenait la chaleur de l'été, le petit escalier explosait de fleurs et d'odeurs. Les branches épineuses des églantiers, que l'on avait oubliées pendant la saison froide, s'étaient garnies au printemps d'un feuillage nouveau. De la verte frondaison avaient jailli d'abord des épines acérées, bientôt dissimulées par l'abondante floraison des pâles églantines. L'été venu, le mur de pierre, craquelé sous le soleil, disparaissait sous l'avalanche parfumée de ces tendres petites roses farouches, toutes blanches, qui n'en finissaient pas de nous offrir, chaque jour, le bouquet toujours renouvelé de leurs corolles délicates... Il y a de la beauté sauvage dans l'églantine en fleurs... Aux premiers souffles de septembre, quand l'approche de l'automne mettait dans l'air des senteurs de feuilles mortes, les églantines se défaisaient, s'abandonnaient, épuisées, recouvrant bientôt le sol d'une couche serrée de pétales fanés. Ne restaient alors que leurs fruits, une multitude de baies orangées qui transformaient l'églantier en un buisson ardent aux teintes flamboyantes... J'allais alors les cueillir, et je revenais à la maison, les doigts écorchés par les épines, mais avec, dans mon panier rempli, une belle récolte que ma mère transformait en une confiture parfumée, à la consistance un peu épaisse et à la saveur si particulière, vaguement douceâtre ; finement étalée sur une tranche de pain de campagne, la confiture d'églantine est un régal, souvent oublié de nos jours mais que l'on goûte encore en Alsace. Mais l'églantine est aussi une fleur facétieuse : parmi les baies récoltées, j'en mettais quelques-unes de côté : celles-là ne finiraient pas en confiture. Je les ouvrais, je recueillais à l'intérieur les fibres velues qui s'y cachaient : elles constitueraient, une fois séchées, le précieux poil à gratter, accessoire indispensable à l'école pour égayer les récréations !.... Mais le temps a passé sur mes étés trop courts ; et dans ma rue d'autrefois, il n'y a plus d'églantier ; il n'y a plus d'enfants non plus ; ils ont grandi, comme moi ; et chacun est parti vers les quatre horizons... A quoi servirait encore un églantier dans le petit escalier ? Il n'y a plus personne pour regarder ses fleurs, plus personne non plus pour préparer la confiture. Notre enfance au loin s'en est allée, et le vent d'octobre souffle sur nos souvenirs... Nous n'irons plus en bas, la rue est désertée, l'églantier que voilà, un jour on l'a coupé..... 


    votre commentaire
  • J'en conviens volontiers : il m'a fallu beaucoup de temps pour aimer l'hortensia ; il a pourtant bien du panache ! Mais lorsque j'étais enfant, je ne savais pas l'apprécier ; l'hortensia m'attristait. Ce n'était pas de sa faute, à vrai dire, mais je le voyais toujours dans un environnement fâcheux, celui de la maison de notre voisine ; elle était vieille et ridée, notre voisine, et elle ramassait à pleines mains des araignées et des vers de terre, qu'elle donnait à ses poules qui accouraient en caquetant goulûment à la vue de ces friandises qui me faisaient horreur. Sa maisonnette, petite et vétuste, exposée au nord, était toujours à l'ombre : nul rayon de soleil ne l'éclairait jamais. La façade grise se prolongeait par un perron étriqué, avec des marches de ciment aux joints humides et moussus. Seules taches de couleurs dans cette grisaille sombre : les deux gros massifs d'hortensias qui encadraient le perron ; en juillet, c'était une explosion de grosses boules roses. Je ne sais si c'était l'effet de l'ombre humide, ou bien celui du silence presque lugubre de la maison, mais les hortensias de notre voisine m'affligeaient par leur fadeur ; leur teinte pâle éveillait en moi une indicible mélancolie, comme celle qu'on éprouve devant les fleurs artificielles des cimetières, fanées et délavées, douloureux hommages qui évoquent tristement un passé disparu, et le joli temps d'avant qui ne revient jamais. Sans doute aurais-je pu rester toujours sur cette impression première, et c'eût été bien injuste pour les hortensias. Mais heureusement, bien plus tard, devenu grand, j'ai redécouvert l'hortensia sur le granit rose des côtes sauvages de la Bretagne, comme sur le littoral pittoresque du pays basque ; et j'ai vu alors une fleur bien différente ! Finie la plante triste de l'ombre ! L'hortensia m'est apparu enfin tel qu'en lui-même : dans l'opulence de sa floraison, dans les immenses massifs étagés sur les rochers de la côte, dans l'éblouissement de ses teintes pastel offertes aux caresses du soleil, en bouquets opulents. Qu'on me pardonne donc d'avoir si peu aimé l'hortensia dans mon enfance ! Après tout, j'ai commis, moi aussi, des erreurs de jeunesse !... Mais je n'ai pas d'inquiétude, et je sais que les hortensias ne m'en voudront pas de les avoir longtemps délaissés ; les fleurs, mieux que les hommes, savent pardonner.....


    votre commentaire
  •  

    Les fleurs sont parfois comme certaines personnes : elles n'ont pas toujours la réputation qu'elles méritent. Ainsi en est-il de l'oeillet, auquel on prête toutes sortes de maléfices, au point que les fleuristes n'osaient, dit-on, en faire des bouquets. On dit parfois que l'oeillet porte malheur, on le maudit, on le fuit, on le met en quarantaine. Et pourant, qu'iy a t-il de plus charmant qu'une bordure d'oeillets dans un jardin ? Certes, l'oeillet n'a ni la haute stature ni le port majestueux des fleurs que l'on vénère, mais son humilité n'est pas fadeur. L'oeillet est un séducteur qui sait nous plaire et nous retenir : son feuillage est fin, étonnant, il évoque de fines lames élancées dont les teintes vont du gris-bleu au vif-argent, en touffes serrées de brins gracieux qui se hérissent tout autour des fleurs... Et puis l'oeillet attire aussi par son parfum si original, capiteux et poivré, fort et entêtant comme celui de la giroflée, un parfum qui embaume merveilleusement les soirs d'orage après la pluie... L'oeillet séduit enfin par ses coloris nombreux et par ses multiples variétés : oeillet de poète, oeillet des fleuristes, oeillet d'Inde... Au jardin, arrêtez-vous un instant le long d'une allée, il le vaut bien ; penchez-vous vers lui, regardez-le : l'oeillet est d'une forme qui le rend généreux ; il s'épanouit en une boule ébouriffée, avec des bords finement dentelés qui lui donnent volume et relief. Il est si élégant et si léger à la fois, l'oeillet, que c'est lui, autrefois, que les hommes choisissaient pour orner la boutonnière de leur veston, et pour attirer les plus belles femmes, charmées par son parfum... Et mettre un oeillet à la boutonnière de son veston était un signe de distinction, une marque de séduction, et non une marque de malheur ! Non, l'oeillet ne mérite pas d'être traité en paria ! Laissons donc les croyances maléfiques pour ce qu'elles sont, des légendes infondées et rendons justice à l'oeillet, à son parfum capiteux, à la beauté de son feuillage d'argent... L'oeillet mérite sa place dans nos jardins, ne faisons pas de lui un mal-aimé ! Mettez-le en bonne place, admirez-le, il vous le rendra par sa belle floraison, par son parfum envoûtant, et vous serez fier de lui !


    votre commentaire
  •  

    Oasis de fraîcheur dans l'été pesant, petit abri de verdure au coeur du jardin, la tonnelle était comme une île lointaine, sauvage et exotique, à deux pas de la maison. Quand, sous les rosée d'un matin de mai, s'ouvraient les premiers boutons de roses, mon père creusait un peu le sol, tout autour de la tonnelle, et il semait de bien chétives graines. Il les recouvrait délicatement de terreau. Puis, avec un long tuyau de caoutchouc noir, il arrosait la terre, patiemment, chaque soir... Au bout de quelques jours, émergeaient du sol d'imperceptibles plantules vertes. Minuscules. A peine les aurait-on distinguées des mauvaises herbes. Mais en quelques semaines, les petites pousses étaient devenues des lianes conquérantes, qui avaient habillé la tonnelle d'un tissu serré de feuilles arrondies et plates, bientôt réhaussé de l'éclat des capucines, jaune vif avec des reflets flammés d'orange mûre. Dès lors, la tonnelle, toute fleuriie, pouvait abriter, aux beaux jours, nos repas rustiques... La table était simple et sans richesse ; après les petits radis croquants du jardin, venait le melon parfumé, que mon père accommodait de sel et de poivre devant mes yeux étonnés, puis le poulet rôti, à la peau dorée et craquante, trônant sur un grand plat au milieu du cresson ; venait ensuite le camembert, dont grand-père, la casquette relevée, grattait soigneusement la croûte avec la pointe de son couteau, et puis les cerises dont ma soeur faisait de si jolis pendants d'oreilles, et les fraises enfin, dans leur saladier, délicieusement parfumées dans un mélange d'eau sucrée et de vin... Le repas terminé, dans le crépuscule qui venait, nous nous taisions sous la tonnelle, n'osant plus parler, pour ne pas réveiller grand-père qui s'était assoupi sous le feuillage, et nous regardions les arbres du jardin, immobiles dans la paix du soir, tandis que l'ombre, peu à peu, mettait un voile bleuté sur les capucines endormies. Autour de nous, quelque part, invisibles et sonores, des grillons chantaient dans l'herbe sèche de juillet.... Les capucines, lentement, s'éteignaient dans la nuit.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique