• LE BUDDLEIA

    Après la distribution des prix, dans les derniers jours de juin, je rentrais à la maison avec au coeur un peu d'orgueil et sous le bras beaucoup de livres, noués ensemble d'un beau ruban rouge ; le maire, Georges Marrane, m'avait donné l'accolade à la Salle des Conférences, m'avait félicité pour mon prix d'excellence, et encouragé à bien travailler encore à l'avenir. L'avenir...... un mot bien vague quand on a sept ans... Mon avenir c'était le présent ; et le présent c'était que l'école était finie. Commençait alors la longue période des grandes vacances, jusqu'à la rentrée des classes, en octobre... Mais "vacances", pour moi, c'était un mot presque aussi inconnu que "avenir" : on ne partait pas ; ou alors pas tous les ans : juste une semaine ou deux chez un oncle, en Alsace. Alors c'était la rue qui était notre principale villégiature ; on s'amusait, on vagabondait, on observait, tout était neuf à notre curiosité ! Or, dans son jardin, notre voisine avait un buddleia ; et justement, c'est pendant les grandes vacances qu'il était fleuri ! Planté tout près de la clôture, l'arbre étendait ses branches un peu partout ; désordonnées, échevelées, elles débordaient au dehors, envahissant le trottoir de grappes violettes, opulentes et parfumées. Le buddleia, on l'appelle aussi lilas d'été, avec ses fleurs mauves. Pourtant, si cet arbre me fascinait, ce n'était pas tant pour ses fleurs, que pour les papillons nombreux qui voletaient autour de lui. Car le buddleia a aussi un autre nom : "l'arbre à papillons" !... Et il le mérite bien ; je passais des heures à regarder les papillons ; il y en avait des dizaines, de toutes les tailles et de toutes les couleurs ; les plus petits, tout blancs, voletaient maladroitement, comme des petits bouts de papier éparpillés au vent ; d'autres, plus grands, avaient des ailes jaune paille avec de larges taches noires ; enfin il y avait les plus beaux : leurs ailes étaient de véritables bijoux : des bruns, des rouges, des noirs, mille couleurs agencées en d'éblouissantes mosaïques vivantes ; et tous ces papillons se croisaient dans un ballet virevoltant et saccadé ; puis ils se posaient sur la fleur pour butiner ; tout occupés alors à chercher le pollen, ils s'immobilisaient enfin, écartant largement leurs ailes : quelle beauté alors s'offrait à mes yeux éblouis ; on eût dit des petits tableaux de soie, avec des reflets nacrés et des teintes irisées;.. Spectacle fabuleux de la nature ; le temps passait vite, et il me fallait rentrer, c'était l'heure du dîner... Un soir, on était à table, j'ai posé une question :

    - Ils vont où, tous les papillons, quand ils ont fini de butiner ?... J'ai regardé ma mère, mon père, mon grand-père.... Personne n'a répondu, ils avaient tous le nez dans leur assiette....

    - Mange ta soupe au lieu de poser de drôles de questions ! a juste dit ma mère...

    Petit garçon obéissant ; je n'ai rien dit et j'ai mangé ma soupe... Alors, bien des années plus tard, je ne sais toujours pas où vont les papillons quand ils ont fini de butiner les fleurs de buddleia ! Mais j'ai compris pourquoi personne ne m'a répondu : c'est que la vie est plus belle quand elle garde une part de mystère....


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