• La rose... la rose... Je répète son nom, la rose... Et les mots que j'avais pressentis pour elle défaillent sous ma plume intimidée. J'en étais sûr, ça devait arriver : il est presque insolent de parler de la rose, presque impossible de parler de sa beauté, tant elle est infinie. Que dire, en effet, de la plus honorée des fleurs pour sa grâce et sa beauté ? Ronsard l'a chantée, tant d'autres l'ont célébrée à travers les siècles, à toutes les époques ; et c'est en hommage à la plus belle des fleurs que Jules Gravereaux a créé le jardin qui lui est consacré, à l'Hay-les-Roses, près de Paris..... Il ouvre la roseraie en 1894, et on peut y admirer alors plus de trois mille variétés de roses, et s'enivrer de couleurs et d'odeurs... Le jardin de mon enfance n'avait rien de cette roseraie, mais quelques roses s'y épanouissaient ; et quelques rosiers dans un jardin, cela suffit pour offrir à nos rêves la grâce des couleurs et l'enchantement des parfums ; mon père n'aurait pu se résoudre à exclure du jardin une fleur telle que la rose : un jardin est-il encore un jardin s'il ne possède un rosier ? Les roses donc fleurissaient dans le jardin de mon enfance. C'étaient des rosiers-buissons aux grandes fleurs. Certaines étaient d'un rose tendre, un peu saumoné, d'autres mêlaient des tons pastels, où le jaune pâle côtoyait le rose saumoné dans un dégradé très doux. Mais de toutes, émanait un parfum enivrant comme un ciel de printemps... Et en sortant de la maison pour aller à l'école, l'éblouissement continuait : au-dessus d'un muret, le long d'une clôture, le grillage disparaissait sous une innombrable brassée de petites roses rouges.... La rose, c'est cela : la beauté dans tous ses états, de la fleur isolée au bouquet, du bouquet à la clôture, dans une palette infinie de couleurs, dans mille nuances embaumées... Il ne faut pas s'en étonner : tant de dieux se sont penchés sur son berceau ! Et si la rose fut, selon la Mythologie, créée par Chloris, la déesse des fleurs, c'est Aphrodite qui lui donna la beauté, et Dyonisos son parfum, tandis que Zéphyr, dissipant les nuages qui assombrissaient l'azur, permit qu'Apollon, dieu du soleil, vienne à son tour polir ses pétales pour leur donner leur incomparable velouté !... C'est pourquoi la rose, fille des dieux, est la reine des fleurs... Car si la beauté est fabuleuse en toutes choses, celle de la rose est éternelle, comme un rêve qui n'aurait jamais de fin... Et c'est pour ça que la rose, si souvent, parle d'amour.....


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  • Quand mars montre le bout de son nez, on se réveille un matin le coeur plus léger et l'on sait bien pourquoi : l'heure est venue d'oublier les frimas. C'est bientôt le printemps et son premier souflle balbutiant nous caresse la peau, malgré quelques giboulées et un peu de grêle qui rappellent encore l'hiver. Puis vient avril et c'est l'explosion des beaux jours, c'est la vie qui renaît ; c'est alors que revient le lilas. Ce n'est pas au ras du sol qu'il fleurit, lui ! Ce n'est pas un buisson et c'est plus qu'un arbuste : c'est un arbre ! Voyez comme ses fleurs éclatent en grappes opulentes sous le ciel d'avril ; si abondantes que les feuilles ont tôt fait de disparaître sous l'avalanche de mauve ou de blanc des fleurs exubérantes. Le lilas, c'est comme un message d'espoir lancé aux hommes ; le lilas, c'est du printemps qui se voit de loin, tel un drapeau qui invite à se rallier aux beaux jours enfin revenus et qu'on a tant espérés, tant attendus dans les mois de froidure. Lorsque, un matin d'avril, on longe une rue de banlieue bordée de petits pavillons et d'humbles jardinets, on peut fort bien ne pas voir les modestes crocus ou les premiers iris, mais on ne peut ignorer le lilas ! Avant même de le voir, on le hume de loin, il vopus arrives en bouffées odorantes et suaves qui vous enlacent au gré des caprices du vent. A pleines brassées il surgit soudain, dépasse les grilles, franchit les murs et déborde partout en bouquets généreux qui mettent au coeur un vertige enivrant de couleur et de parfum. L'écrivain Guy de Maupassant nous raconte, aun détour d'une de ses chroniques parisiennes, qu'en se promenant au lever du jour dans les rues de Paris un matin d'avril, il s'émerveille de découvrir, dans le lointain brumeux des collines mauves d'Argenteuil, les étendues toutes fleuries de lilas... Moi, je n'avais pas besoin de flâner au long des rues pour voir le lilas ; je l'apercevais dès le matin, pendant le petit-déjeuner. Grand-Père mangeait son pâté de foie sur du pain de campagne, tandis que, délaissant ma tartine de confiture, je regardais au-dehors : dans le jardin, juste devant la fenêtre, les lourdes grappes mauves se balançaient doucement au moindre souffle d'air. Et quand on ouvrait les vitres au soleil de midi, un parfum délicieux envahissait la salle à manger, capiteux et fort. Et puis, derrière la maison, je le savais, il y avait deux autres lilas. Ceux-là étaient un peu particuliers : ils étaient blancs, les fleurs souvent piquées d'un peu de rouille à la moindre pluie ; mais aux belles journées ensoleillées, mon père tendait entre eux un hamac ; les branches des deux lilas blancs ployaient alors légèrement, comme s'ils se penchaient  un peu pour voir... Leurs fleurs immaculées se rapprochaient au dessus du hamac : c'était le berceau où dormait ma petite soeur, dans l'air calme du jardin embaumé de lilas.


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    J'aime le coquelicot et son rouge éclatant, ce cousin germain du pavot, et pourtant il n'y en avait pas dans le jardin de mon enfance. Le coquelicot ne s'accommode pas des agencements méticuleux, ni des plantations sages du jardinier soigneux. Le coquelicot est un rebelle, indomptable et fier, qui ne se laisse pas mettre en bouquet : sitôt cueilli, il se flétrit : la mort plutôt que la soumission, telle pourrait être sa devise ! ¨Pourtant, je garde du coquelicot de bien beaux souvenirs, car je le rencontrais dans mes moments buissonniers, quand je sortais des sentiers battus du petit jardin, errant soudain sur des terres plus sauvages que celles cultivées avec soin par mon père. Point n'était besoin d'aller bien loin pour cela. Il me suffisait, passant par la rue Pierre Honfroy, de m'aventurer sur le petit sentier qui longeait alors un terrain vague et montait, sauvage, vers la Route Stratégique ; au milieu du chemin, de gros pavés irréguliers formaient une rigole pour les eaux de pluie, les soirs d'orage. Sur les côtés, des herbes folles poussaient : c'est là qu'il était, le coquelicot ; c'est là que s'épanouissaient les éclatantes fleurs rouge vif, dressées sur une tige fragile, versatile et souple que le moindre souffle de vent agitait doucement. Le coquelicot était le compagnon flamboyant de mes étés, et son rouge éclatant dansait avec grâce dans mes soirs d'été ; un beau rouge, comme celui de la grenadine que je buvais en rentrant, dans un grand verre de limonade... Le coquelicot reste pour moi associé aux promenades, aux voyages, aux vacances d'été, en Alsace, chez un oncle où l'on m'envoyait ; mon père me conduisait à la gare de l'Est ; bientôt, le train partait ; et pendant tout le voyage, jusqu'à Colmar, les coquelicots m'escortaient, au hasard des petites gares quand le quai laisse la place aux herbes blondes qui longent la voie ferrée... C'est ainsi que le coquelicot est resté pour moi la fleur des vacances, la rouge compagne de mes jeudis d'été, une fleur qui symbolise les errances à travers des terres inconnues... Le coquelicot, frêle et rouge corolle qui fleurit dans mes souvenirs, c'est un petit flambeau de liberté qui pousse sur les chemins du monde....


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  • Le petit jardin d'Ivry, au temps de mon enfance, avait pour clôture une muraille sombre aux teintes d'émeraude : un lierre. Il avait poussé là, envahissant une palissade  chataîgnier qui avait depuis longtemps disparu sous le feuillage opulent. La verte frondaison du lierre faisait un écran de verdure sur le devant de la maison : c'est là que s'était installé le miguet, le long de la façade, bien protégé des ardeurs excessives du soleil par le lierre tutélaire. Comme tant d'autres fleurs, le muguet est un sauvage ; il n'a nul besoin des soins attentifs du jardinier, c'est une fleur robuste et vivace, une fleur toute simple et heureuse de vivre, qui pousse toute seule et s'étend un peu plus chaque année, de proche en proche, avec une exubérance timide. Mine de rien, le muguet est un envahisseur patient et tenace : le miguet cache bien son jeu. Dans le jardin d'Ivry, il fleurissait à son tour, succédant aux tulipes et aux jacinthes, pour chanter le mois de mai et annoncer, en éclaireur tout de blanc vêtu, tout en parfum aussi, l'éclosion prochaine des premières roses, qui ne tarderaient pas à s'épanouir.Dans le jardin de mon enfance, le muguet pouvait vivre en paix : on ne le cueillait pas pour le vendre aux carrefours ; on le laisser pousser à sa guise et embaumer de ses jolies clochettes blanches le pied de la fenêtre, à l'ombre du lierre. Le muguet, on le contemplait, on le humait sans le cueillir : ce sont les légumes que l'on cueillait en ce temps-là, où l'on n'était pas assez riche pour se contenter d'un jardin qui ne serait que d'agrément... Quant au muguet, il était là comme étaient là toutes les autres fleurs, pour le plaisir des yeux et pour la douceur des parfums lorsque la pluie, petites perles d'eau sur ses feuilles offertes, exaltait ses effluves embaumés... Nous n'avions pas la télévision alors, et le jardin était pour moi le plus beau des écrans, celui où défilaient les couleurs vives et variées des fleurs, leurs formes, leurs couleurs, leurs odeurs ; c'était pour moi le plus passionnant des feuilletons, celui qui me racontait au fil des jours l'histoire merveilleuse de la nature, et me montrait la vie toujours nouvelle des saisons qui se suivent, toujours pareilles mais si différentes pourtant... Et le muguet du jardin, avec ses feuilles vertes et ses clochettes blanches, était un beau symbole : celui de l'arrivée du printemps, celui de la promesse des beaux jours qu'on avait si longtemps attendus en hiver. Le muguet annonce le printemps, l'avenir, les lendemains qu'on espère radieux ; il est un messager d'espoir, c'est pourquoi le muguet est un porte-bonheur.


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  • La beauté de la tulipe est tout entière déjà dans la pureté de sa ligne... La tulipe est une des premières fleurs à venir au jardin, tandis qu'aux matins de mars, les ultimes rigueurs de l'hiver déposent sur l'herbe des paillettes de givre, brillantes et nacrées. La tulipe nous vient de l'Himalaya : fleur de montagne, elle ne craint pas le froid. Avec elle, la vie renaît. Elle a peu de concurrentes, la tulipe. Il lui suffit de paraître pour mettre à nos lèvres un sourire printanier. Droite sur sa longue tige d'un vert franc, elle porte haut sa corolle éclatante aux bords évasés. Ses pétales satinés luisent de teintes vives : des rouges éblouissants, des jaunes lumineux qui mettent de l'or sur le jardin qui s'éveille. Les tulipes sont des calices d'une ineffable beauté. Mon père les cultivait avec amour. Tout l'été, les bulbes avaient attendu, soigneusement rangés sur des clayettes de bois ; classés par couleurs et par variétés, ils étaient repérés par des étiquettes à l'encre de Chine : pas moyen de se tromper, disait mon père ! A l'automne, quand arrivait le vent d'octobre, mon père plantait les bulbes en longues rangées, alternant variétés et couleurs. Les mois d'hiver faisaient le reste. Et au printemps, les vives corolles enfin s'ouvraient en couleurs flamboyantes. Parmi toutes les tulipes, ma préférée était la tulipe noire, dont la beauté sombre et mystérieuse me rappelait les aventures de cape et d'épée des romans d'Alexandre Dumas. Si la tulipe noire n'a pas l'éclat de vives couleurs, elle offre à nos yeux le velours profond de sa robe sombre, d'un brun-noir tirant sur le mauve foncé. Une autre encore me fascinait : la tulipe perroquet. Sa robe multicolore, à l'image du plumage de l'oiseau exotique dont elle porte le nom, suffirait déjà à la distinguer des autres tulipes ; mais elle a encore d'autres charmes qui n'appartiennent qu'à elle : le bord de ses pétales est finement festonné de dentelures qui lui donnent un aspect ébouriffé ; et puis,n autre grâce, la tulipe perroquet est la seule tulipe parfumée, de ce parfum lourd, suave  et capiteux qu'on souvent les fleurs de printemps et qui fait tourner la tête comme un vin capiteux... Mais parfois, dans l'irréprochable alignement rouge vif des tulipes de Hollande, mon père découvrait, étonné, une tulipe perroquet, ou encore une tulipe noire, isolée et incongrue ; je le voyais perplexe, cherchant en vain la cause de ces errements floraux, de ces mystérieuses mutations, échafaudant peut-être toutes sortes d'hypothèses en plissant le front de ces caprices botaniques ; prêt peut-être à en découdre avec le grainetier du coin ! Il ne savait pas que, derrière son dos, je m'étais amusé à permuter quelques bulbes en les changeant subrepticement de clayettes !... On n'est pas sérieux quand on n'a que douze ans !


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