• LA TULIPE

    La beauté de la tulipe est tout entière déjà dans la pureté de sa ligne... La tulipe est une des premières fleurs à venir au jardin, tandis qu'aux matins de mars, les ultimes rigueurs de l'hiver déposent sur l'herbe des paillettes de givre, brillantes et nacrées. La tulipe nous vient de l'Himalaya : fleur de montagne, elle ne craint pas le froid. Avec elle, la vie renaît. Elle a peu de concurrentes, la tulipe. Il lui suffit de paraître pour mettre à nos lèvres un sourire printanier. Droite sur sa longue tige d'un vert franc, elle porte haut sa corolle éclatante aux bords évasés. Ses pétales satinés luisent de teintes vives : des rouges éblouissants, des jaunes lumineux qui mettent de l'or sur le jardin qui s'éveille. Les tulipes sont des calices d'une ineffable beauté. Mon père les cultivait avec amour. Tout l'été, les bulbes avaient attendu, soigneusement rangés sur des clayettes de bois ; classés par couleurs et par variétés, ils étaient repérés par des étiquettes à l'encre de Chine : pas moyen de se tromper, disait mon père ! A l'automne, quand arrivait le vent d'octobre, mon père plantait les bulbes en longues rangées, alternant variétés et couleurs. Les mois d'hiver faisaient le reste. Et au printemps, les vives corolles enfin s'ouvraient en couleurs flamboyantes. Parmi toutes les tulipes, ma préférée était la tulipe noire, dont la beauté sombre et mystérieuse me rappelait les aventures de cape et d'épée des romans d'Alexandre Dumas. Si la tulipe noire n'a pas l'éclat de vives couleurs, elle offre à nos yeux le velours profond de sa robe sombre, d'un brun-noir tirant sur le mauve foncé. Une autre encore me fascinait : la tulipe perroquet. Sa robe multicolore, à l'image du plumage de l'oiseau exotique dont elle porte le nom, suffirait déjà à la distinguer des autres tulipes ; mais elle a encore d'autres charmes qui n'appartiennent qu'à elle : le bord de ses pétales est finement festonné de dentelures qui lui donnent un aspect ébouriffé ; et puis,n autre grâce, la tulipe perroquet est la seule tulipe parfumée, de ce parfum lourd, suave  et capiteux qu'on souvent les fleurs de printemps et qui fait tourner la tête comme un vin capiteux... Mais parfois, dans l'irréprochable alignement rouge vif des tulipes de Hollande, mon père découvrait, étonné, une tulipe perroquet, ou encore une tulipe noire, isolée et incongrue ; je le voyais perplexe, cherchant en vain la cause de ces errements floraux, de ces mystérieuses mutations, échafaudant peut-être toutes sortes d'hypothèses en plissant le front de ces caprices botaniques ; prêt peut-être à en découdre avec le grainetier du coin ! Il ne savait pas que, derrière son dos, je m'étais amusé à permuter quelques bulbes en les changeant subrepticement de clayettes !... On n'est pas sérieux quand on n'a que douze ans !


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