Depuis quelques années, on voit la philosophie se galvauder ! Chaque bistrot de quartier prétend animer des «débats philosophiques" pour le populo ! Même France-Loisirs ose mettre dans son catalogue des bouquins de philo ! C’est dire à quel point de démagogie on est arrivé, en faisant croire à chaque pécore qu’elle peut « faire de la philo », à chaque abruti qu’il peut surpasser Van Gogh, et au moindre crétin qu’il peut monter sur scène en braillant avec art !... Mais laissons là ces considérations personnelles, et venons-en au livre que je viens de lire : «Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale », par Simone Weil. Non, pas celle, inusable, increvable et intouchable de tous les gouvernements depuis cinquante ans, mais l’autre, la Simone Weil philosophe, qui mourut de la tuberculose en 1943, à l’âge de 34 ans… Dans cet essai rédigé en 1934, elle analyse essentiellement les causes de l’oppression sociale, autrement dit les rapports de domination et de soumission qui naissent dans toute société humaine. Elle choisit pour cela de s’appuyer sur le travail humain, sa nature et ses conditions… Rassurez-vous, je ne vais pas vous décortiquer le bouquin, mais simplement vous suggérer de le lire, tout simplement… Il n’y a pas d’histoire à raconter ici, pas de suspense ni de happy end, mais il y a sous la plume de cette jeune femme (elle a 25 ans alors !) des considérations qui méritent d’être lues, méditées, et des remarques qui entrent souvent en parfaite résonance avec le monde d’aujourd’hui… Le livre est assez pessimiste, dénué de toute illusion. Pour Simone Weil, l’homme serait condamné à être opprimé : dans les sociétés primitives, il est dominé par les forces de la Nature, tandis que, au fur et à mesure qu’il s’en libère, il subit alors l’oppression d’une société de production dont les moyens et les fins lui échappent. Se creuse alors le clivage entre ceux qui pensent et coordonnent et ceux qui exécutent… Simone Weil note aussi que l’oppression tend à constamment augmenter, car celui qui détient le pouvoir doit constamment lutter, pour le maintenir, contre la désobéissance des subordonnés, et contre les appétits des concurrents qui veulent s’emparer de son pouvoir…
Elle écrit des phrases d’une étonnante actualité : « Le chaos de la vie économique est évident. Dans l’exécution même du travail, la subordination d’esclaves irresponsables à des chefs débordés par la quantité des choses à surveiller, est cause de malfaçons et de négligences innombrables ; ce mal, d’abord limité aux grandes entreprises industrielles, s’est étendu aux champs, là où les paysans sont asservis à la manière des ouvriers. L’extension formidable du crédit empêche la monnaie de jouer son rôle régulateur en ce qui concerne les échanges. »
Elle en vient aussi à écrire ces mots : « Il existe encore un autre facteur de servitude ; c’est pour chacun l’existence des autres hommes. Et même, à y bien regarder, c’est à proprement parler le seul facteur de servitude. L’homme seul peut asservir l’homme. » On est tout proche ici de la phrase de Sartre « L’enfer c’est les autres. »…
N’y a-t-il pas d’espoir pour plus de liberté ?... Simone Weil, à plusieurs reprises, suggère que c’est par la pensée que l’homme pourrait avancer vers plus de liberté, et elle dénonce –déjà- l’abrutissement et l’abêtissement des masses par les médias ! Remarquable clairvoyance !... Hélas !... Simone Weil n’est plus là, mais quand on consulte la grille des programmes de TF1 ou de RTL, ou qu’on feuillette le catalogue de France-loisirs, on se dit que la pensée et la liberté ne sont pas pour demain ! Et que l’oppression a encore de beaux jours devant elle, et pour longtemps !...
Bio : Simone Weil est née en 1909. Après des études secondaires au lycée Victor Duruy à Paris, où elle suit les cours de Le Senne, elle obtient son bac philo en 1925, à l’âge de 16 ans. Elle passe ensuite trois ans au lycée Henri IV où elle a pour maître le philosophe Alain. Elle entre en 1928 à l’Ecole Normale Supérieure et est agrégée de philosophie en 1931, à 22ans. Grosse tête, la meuf ! Tout le contraire d’une blonde qui fait coiffure !... Elle commence par enseigner au Puy, mais très vite, la jeune philosophe se range du côté des opprimés, en tant que philosophe chrétienne. Elle se fait embaucher comme ouvrière chez Renault en 1935, puis ouvrière agricole en 1941. Elle quitte la France en 1942, allant d’abord aux Etats-Unis puis à Londres où elle travaille pour le général de Gaulle. Mais, atteinte de la tuberculose, elle démissionne en juillet 1943 et refuse de se nourrir, par solidarité avec les souffrances de ses compatriotes français. Elle meurt quelques semaines plus tard, le 24 août 1943, dans un sanatorium britannique. Elle a 34 ans.