Les Noces barbares, roman de Yann Queffelec, a obtenu le Prix Goncourt en 1985. De mémoire de lecteur, je n’ai pas le souvenir d’un autre livre plus sombre, plus noir, plus désespérant. Vraiment, Vipère au poing d’Hervé Bazin et la célèbre Folcoche, Sans famille d’Hector Malot, ou encore David Copperfield de Charles Dickens, tout ça c’est de la gnognotte à côté des Noces barbares ! C’est incroyable ! L’histoire est tristement simple au départ. Nous sommes au lendemain de la seconde guerre mondiale. Nicole a treize ans et elle a déjà de belles miches… Normal, son père est boulanger. Elle se fait draguer par un jeune soldat américain qui lui raconte les salades habituelles : il est d’une riche famille, possède un immense ranch. Le papa boulanger s’offusque bien un peu de voir sa petite ainsi convoitée si jeune, mais la perspective du ranch et de la fortune le rend beaucoup plus large d’esprit : sa morale est comme celle de tout le monde, elle est à géométrie variable et l’argent l’assouplit considérablement !... La toute jeune Nicole gobe donc le baratin de l’Amerloque, car comme toutes les petites filles, on lui a raconté plein de belles conneries sur le prince Charmant, les robes de princesse, la poupée Barbie, son crétin de Ken, et j’en passe ! Hélas, elle rencontre bientôt la réalité, beaucoup moins rose : Le soldat américain l’entraîne dans son casernement, et la viole, tout en en faisant profiter deux potes, qui ne se le font pas dire deux fois, après l'avoir tenue fermement pendant que le premier copain s'activait en éclaireur ! Et voilà la toute jeune Nicole triplement violée et enceinte, tandis que les bidasses retournent fissa aux USA, où ils sont plongeurs ou manutentionnaires, des pauvres types quoi ! Pas de richesse, pas de ranch non plus, adieu veaux vaches cochons couvées, mais voici un moutard braillard prénommé Ludo, qui naît neuf mois plus tard, classique ! C’est toujours les mêmes rengaines. On a beau dire de faire gaffe, ça sert à rien, les mêmes conneries, toujours recommencent, à croire que les gens aiment ça… Mais bon, ce n’est pas le sujet… Car ce viol initial n’occupe que quelques pages, aussi vite à écrire qu’à faire… Tout le reste du roman, c’est la dégringolade terrifiante et inexorable de Ludo, enfant non voulu, enfant rejeté, enfant non aimé. Ludo est le seul innocent de cette histoire, et il va payer pour toutes les saloperies des adultes. Il a beau faire, il a beau dire, on le rejette, toujours davantage… Il fait mille choses pour se rapprocher de sa mère… rien à faire, ses tentatives échouent. On espère chaque fois entrevoir un mieux, et puis non, c’est pire…. Voici que Nicole, la mère, fait placer Ludo dans un établissement pour débiles divers… Tout est bon pour s’en débarrasser… Dimanche après dimanche, au moment des visites, Ludo voit arriver à l’institution les parents des autres enfants placés là comme lui… sa mère, elle ne vient jamais… Mais il espère toujours. Nous aussi, on espère, car à nous aussi on a raconté des conneries : qu’il suffit d’attendre, que tout finit par s’arranger dans la vie… Erreur, mensonge ! Et de fait, rien ne viendra jamais éclairer cette désespérance. Chaque chapitre est un nouvel enfoncement… Au fond, ce livre illustre la plus grande et la plus terrible inégalité dont sont victimes les enfants : ils n’ont choisi ni leur naissance ni leurs parents, ils les subissent pour le meilleur et pour le pire. Ici, il n’y a que du pire, du début à la fin ! Ne l’emportez donc pas sur la plage aux prochaines vacances, ce n’est pas le genre de truc qu’on lit en bronzant idiot au milieu des strings et des tas de lard qui s’exhibent sans vergogne. Mais comme il n’est pas interdit d’être intelligent, et vous l’êtes sans doute, mettez-le tout de même dans votre valise, il en vaut la peine. Les Noces barbares, de Yann Queffelec, un livre à lire.