Par Robertcri
C’est bien connu, les agents d’Electricité de France ont le sens du service public. La Direction le dit souvent, les syndicats le font savoir partout, et les medias s’en font largement écho, à l’occasion notamment de telle ou telle tempête, où l’ont voit ces valeureux agents travaillant de jour comme de nuit, dans le froid et sous la pluie, pour que la Fée Electricité parvienne au fond de chaque foyer, fût-il le plus reculé. Ce n’est même plus le sens du service public, c’est quasiment de l’héroïsme ! Ils font cela et c’est bien, ce n’est pas moi, agent d’EDF en inactivité, qui vais dire le contraire !... "Fiat lux ! Que la lumière soit", telle pourrait être leur devise !... Mais l’héroïsme a ses limites ! Courageux mais pas téméraires, les agents d’EDF ! Le statut de 1946, en effet, les protège de pas mal de choses, mais pas des rayonnements radioactifs au cœur des centrales atomiques. C’est ce que nous révèle avec beaucoup de pudeur et d’émotion le superbe roman d’Elisabeth Fihol : « La Centrale », dans lequel elle nous raconte comment les besognes les plus sales, les plus nauséabondes, et les plus dangereuses lors de l’entretien des centrales nucléaires pendant les « arrêts de tranche », sont effectuées non pas par les héroïques agents statutaires "qui-ont-le-sens-du-service-public-et-mettent-le-client-au-centre-de-leurs-préoccupations" (comme on le martèle dans les réunions de cadres !), mais par d’humbles intérimaires, travailleurs à la fois précaires et itinérants, et qui vont de centrale en centrale, procéder aux travaux les plus dangereux, dans les zones directement sous rayonnement… Parfois, pour une intervention de six minutes, on fait intervenir trois hommes, successivement, deux minutes chacun, pour répartir sur eux la dose de rayonnement, qui ne serait pas supportable pour un seul !... Ces hommes ne bénéficient pas du statut d’agent EDF, leurs contrats de travail sont précaires, ils vivent le plus souvent dans des caravanes ou des camping-cars, sans vie de famille… Ce sont eux pourtant qui permettent le parfait fonctionnement des centrales nucléaires. On ne parle guère de ces héros sans gloire, de ces travailleurs de l’ombre qui nous offrent la lumière au péril de leur vie en s’exposant aux radiations radioactives… Ce roman, « La Centrale » leur rend hommage et c’est justice. Le livre a certes reçu un très bon accueil de la critique littéraire, mais dans les medias on n’a guère parlé de ce livre auprès du grand public, comme si le sujet était tabou, car il n’est pas facile au pays des droits de l’homme et de l’égalité, de reconnaître que certains sont beaucoup moins égaux que d’autres, et que c’est justement à eux que l’on confie les travaux les plus durs et les plus dangereux, comme autrefois aux esclaves… Ce livre a peu de chose à voir avec la littérature, car ce ne sont pas les mots et le style ici qui sont importants, mais les faits qu’ils révèlent et qu’ils racontent ! « La Centrale » par Elisabeth Filhol : un livre à lire absolument, un livre à faire lire…
Bio : comme le savent mes fidèles lecteurs et lectrices, j'aime terminer chacune de mes critiques par une petite biographie de l'auteur, pour que chacun puisse se familiariser un peu avec l'écrivain... Pas facile ici, car il n'existe pratiquement pas d'information sur Elisabeth Filhol. Certes, elle a déjà écrit d'autres récits, mais ses précédents textes sont restés dans ses tiroirs ou dans les poubelles des éditeurs !... La Centrale est son premier roman publié. Ce n'est donc pas un coup d'essai, mais assurément un coup de maître... Elisabeth Filhol, un auteur à suivre...
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