Par Robertcri
Au temps de ma folle jeunesse, lorsque j’étais au CM2 à l’école primaire Robespierre d’Ivry, il y avait, dans un coin de la classe, une haute armoire en chêne, avec deux portes vitrées derrière lesquelles était tendu un petit rideau vert pâle froncé. C’était la bibliothèque de la classe. Chaque semaine, l’institutrice ouvrait cette armoire comme on ouvrirait un coffre au trésor. Là, bien rangés sur les planches, et couverts de papier bleu foncé, s’alignaient les livres de lecture. Je les avais en horreur. J’aimais pourtant beaucoup lire, déjà, mais les titres me rebutaient : Le Capitaine Fracasse, les Trois Mousquetaires, l’Affaire Caïus, Capitaines Courageux… Je détestais ces titres car je détestais les lectures obligées, surtout celles dont je pressentais qu’on me les offrait non pas pour me distraire, mais pour me mettre dans le crâne, hypocritement, des leçons de morale bien-pensante… Certes, je n’étais pas rebelle à la « leçon de morale » quotidienne de la maîtresse, car au moins elle s’affichait comme telle. Mais j’ai toujours détesté la morale quand elle avance, sournoise, à visage masqué, sous prétexte de lecture ou de culture… Mais bon, avais-je raison au temps de ma jeunesse ? J’ai voulu, maintenant que je suis devenu ce qu'on nomme pudiquement un "senior", en avoir le cœur net, et c’est pour cela que, mettant à profit le temps bougon de mes vacances à Châtel, je me suis lancé hardiment dans la lecture de «Capitaines courageux », de Rudyard Kipling, un des titres qui se trouvaient dans la bibliothèque de classe de mon enfance… Eh bien je confirme que, plus de cinquante ans plus tard, mon opinion est la même : Capitaine courageux est un ouvrage fourbe, dans lequel l’auteur nous raconte une histoire bien morale et gnan-gnan à souhait : un jeune garçon, Harvey, fils d’un très riche industriel, tombe d’un bateau pendant une tempête. Il est recueilli par un petit bateau de pêche dont l’équipage est pauvre. Harvey demande aux matelots de le ramener chez son père, qui les indemnisera au prix fort… Mais les pêcheurs ne l’entendent pas de cette oreille : ils sont pauvres et veulent le rester ! c’est tellement sympa d’être pauvre !... Ils obligent donc le riche naufragé à rester avec eux, et le font bosser comme mousse, à dix dollars par mois… Et voici que le jeune Harvey s’épanouit ! Il bosse dur, plus de 15 heures par jour, ne bouffe que du poisson et se blesse les mains sur les lignes et les hameçons ! Je vous passe les détails de cette vie rude… Il finit par retrouver son richissime paternel, qui se félicite de la mentalité de son fiston qui méprise enfin la richesse !... Eh oui, ce livre proposé dans la bibliothèque de ma classe n’avait qu’un but : apprendre aux enfants l’obéissance, la pauvreté, la « grandeur » du labeur !... De quoi faire plus tard de bons ouvriers dociles, pour le plus grand profit des patrons… Capitaines courageux : une pseudo-littérature, une leçon de morale hypocrite accompagnée du plus odieux des mensonges : la pauvreté rend heureux !!!… et hop, à la poubelle !
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