Firmin - par Sam Savage -

 Ce livre intitulé Firmin a un sous-titre qui dit tout : "Autobiographie d'un grignoteur de livres". Au moins c'est explicite. Si tous les auteurs en faisaient autant, on saurait mieux à quoi s'en tenir en ouvrant un livre, au-delà d'un titre souvent abscons, parfois trompeur... Le héros de cette histoire est donc un rat. Lorsqu'il naît, il est le 13ème de la portée, ce qui est doublement dramatique : d'abord parce que les mamans-rats n'ont que douze mamelles, et ensuite parce que Firmin, le petit dernier, est maigrichon, et que ses frères et soeurs l'écartent sans vergogne... Oui mais voilà, cette faiblesse se révèle une chance car la maman rat est alcoolique. Bon, j'explique : comme la maman rat picole, son lait est chargé d'alcool, surtout au début de la tétée. Les frères et soeurs de Firmin boivent donc surtout... de l'alcool, tandis que Firmin, qui arrive en dernier, parvient à téter un lait moins "chargé !... Le jeune Firmin a pris l'habitude de grignoter du papier, d'abord celui dont sa maman a garni le nid pour ses petits, puis les pages des livres qu'il trouve dans la librairie qui se trouve dans l'immeuble où il est né, dans le vieux quartier de Scollay Square, à Boston dans les années 60... Mais Firmin, un jour, parce qu'il est un rat intelligent, se met à lire les pages qu'il grignote, et découvre, ébloui, la littérature, les mots qu'utilisent les hommes... Désormais Firmin ne mange plus les livres, mais il les dévore.. en les lisant. Firmin voudrait parler aux hommes, leur lire Shakespeare, mais il découvre qu'il ne peut émettre que des couinements. Il apprend alors le langage des signes, mais lorsqu'il tente un jour de communiquer ainsi avec des gens dans la rue, il reçoit un coup de canne qui lui brise une patte... Heureusement, un écrivain marginal recueille Firmin et le sauve de sa profonde tristesse. Hélas, notre rat voit le quartier se déliter peu à peu, les commerces fermer... Même la librairie disparaît tandis qu'arrivent de redoutables Caterpillar pour démolir nombre d'immeubles à grand fracas... Les gens sont exclus du quartier, une page se tourne, et comme les rats vivent peu, Firmin se sent bien vieux, déjà... Pourtant, une belle strip-teaseuse va lui offrir une danse inoubliable, comme un ultime bonheur...

Publié en 2006, ce premier roman de Sam Savage est au carrefour de trois genres : le roman, la fable, le récit fantastique. Chose rare, il aborde des sujets graves, sociaux, humains sans pleurnicheries, mais avec un humour badin, sous lequel cependant on sent monter beaucoup d'émotion, de dignité et de pudeur... Mieux, aussi curieux que cela paraisse, cette histoire de rat qui se pique de littérature nous semble vraisemblable, alors que tant de romans qui se voudraient crédibles ne sont que des ramassis d'invraisemblances ! Miracle de l'écriture quand elle est de belle facture comme ici ! A lire sans retenue. C'est publié chez Babel, dans une édition de poche, à 7,50 euros

Bio : Sam Savage est un écrivain américain né en 1941 en Caroline du sud. Docteur en philosophie de l'Université de Yale, il a exercé d'abord les métiers les plus variés : professeur (ce qui semble normal) mais aussi réparateur de vélos, charpentier, imprimeur, pêcheur... Mais lassé de ce dernier métier, il jette l'ancre, et la troque contre l'encre avec laquelle il écrit son premier roman, en 2006 : "Firmin, autobiographie d'un grignoteur de livres". Sam Savage a alors 65 ans et il est donc à cet âge un "jeune" auteur ! Un auteur à suivre... si le temps... lui en laisse le temps...