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Littérature et écriture, dans les thèmes suivants : récits et nouvelles - souvenirs - chroniques - critiques littéraires et cinématographiques - humour - poésie - voyages et balades -

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Marcel PROUST

A LA RECHERCHE DU MEGOT PERDU<o:p></o:p>

A la manière de Marcel Proust<o:p></o:p>

Par Robert Lasnier<o:p></o:p>

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Longtemps j’ai été incommodé par la fumée. Lorsque notre cuisinière, Françoise, après avoir veillé à ce que mes parents ne manquassent de rien et leur avoir donné leur pepsine après le dîner, et que l’heure était bientôt venue que j’allasse me coucher, s’octroyait un moment de repos, elle s’enfermait dans la cuisine pour y fumer une cigarette. Et bien qu’elle prît grand soin de fermer la porte afin que les fumigations tabagiques auxquelles elle s’adonnait, et dont elle éprouvait quelque honte secrète ainsi que je l’appris bien des années plus tard, n’envahissent pas notre demeure, il me parvenait pourtant, s’insinuant par les menus interstices des portes qu’aucun soin ne pouvait assez calfeutrer, des effluves auxquels je tentais de me soustraire, remontant par-dessus ma tête l’édredon de lourd coton blanc que m’avait donné tante Léonie le jour de mon anniversaire. Une autre fois, tandis que mes parents étaient invités dans le salon de Madame Verdurin, on me pria de m’y adjoindre, quoique, de moi-même, je ne me fusse pas invité volontiers à cette soirée, préférant les rêveries solitaires qui me venaient à l’évocation des formes de Madeleine. L’extase qui s’ensuivait, et que je renouvelais souvent, seul travail manuel dont je fus capable de toute ma vie, me paraissait bien supérieure à celle que j’eusse pu trouver, peut-être, en fumant. J’y allai donc, obéissant à l’injonction de ma mère ; j’aimais alors, me tenant silencieux dans une encoignure où l’on ne me voyait pas, observer les invités, analysant leurs gestes et leurs propos autant que me le permettait la pensée que j’avais de découvrir par cette observation minutieuse quelque détail de la nature humaine. Le docteur pérorait selon son habitude, et ne paraissait pas s’apercevoir que, à défaut de persuader l’auditoire par des arguments qu’il voulait péremptoires et dont il accentuait le pouvoir par la force de la voix, il ne faisait que faire bailler une assistance peu encline aux choses de la science. J’observai que, au plus fort de l’ennui, chacun tirait de sa poche un étui, avec une élégance des gestes que l’on ne trouve plus guère que dans le quartier du Faubourg Saint-Germain, et en extirpait une cigarette. Bientôt je vis s’élever des quatre coins du salon une sorte de fumée, une vapeur bleuâtre qui s’élevait doucement, montait en volutes délicatement subtiles et impalpables, puis s’étalait  en des nappes majestueuses et larges qui me faisaient penser à ce voile de brume que je voyais lorsque, quittant le jardin de tante Léonie par le portail grillagé qui s’ouvre à l’arrière du jardin, je sortais après déjeuner et qu’alors gagnant la route qui menait à Combray, il m’apparaissait que l’humidité forte du matin jointe à la touffeur de l’après-midi, formait un voile diaphane, en tous points semblable à la fumée du tabac, qui s’élevait au loin, masquant à ma vue le clocher pourtant familier de l’église de Combray, ou plutôt le dissimulant partiellement, comme les voiles de mousseline des rideaux de ma chambre me masquaient la vue nette  des arbres du jardin… Dans le salon de madame Verdurin, je me mis à tousser sous l’effet de la fumée que soufflaient à la fois le docteur, Swann, monsieur Verdurin, irritant fort mes bronches, rendues sensibles par un asthme opiniâtre que mon père parvenait seul à soulager en me préparant des fumigations bien différentes de celles du tabac. Tandis que ma mère inclinait doucement la tête pour faire bon visage au docteur qui parlait toujours, je vis que Swann semblait agité. Il se penchait, semblant une sorte de balancier mécanique auquel un souffle inconnu eût imprimé soudain des mouvements imprévus, inattendus dans la régularité que l’on voit d’habitude chez lui, se penchant à plusieurs reprises vers le tapis qui s’étendait entre le canapé de velours de Gênes où il avait coutume de se tenir et le fauteuil Voltaire où, confortablement calé, le docteur pérorait. Puis Swann se  relevait, se penchant à nouveau bientôt, la tête plus basse encore, comme s’il eût égaré quelque objet. Bien après cette soirée, je fus longuement intrigué par ce manège de Swann que j’avais suivi, et il m’arrivait souvent, dans les moments d’insomnie qui me tenaient éveillé, d’en rechercher les causes que cependant je ne discernais pas, lorsque, un soir que la porte de ma chambre était restée ouverte et que celle de la cuisine n’avait point été fermée, comme il arrive parfois par l’effet de certaines coïncidences mystérieuses, je surpris bien malgré moi une conversation entre Françoise et ma mère. Et bien que je n’écoutasse pas en tendant particulièrement l’oreille, les paroles se percevaient bien aisément, par l’effet conjugué du silence du soir et de l’involontaire curiosité qui, à défaut d’écouter, me laissait cependant entendre ce que je désirais par-dessus tout savoir. Et c’est ainsi que me fut dévoilé le secret de l’agitation de Swann  dans le salon de madame Verdurin : il était à la recherche d’un mégot perdu !...<o:p></o:p>

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