Ouf, je viens de terminer « Les Mandarins », ce roman bourratif de Simone de Beauvoir : 579 pages bien tassées, qui ont valu à l’auteur le Prix Goncourt en 1954 et qui m’ont valu à moi des jours interminables d’une lecture laborieuse. Je dis ouf, car les gros bouquins m’ennuient : on pourrait aisément en supprimer la moitié. Et dans le cas des Mandarins on pourrait même en supprimer davantage ! Mais je dis ouf aussi parce que ce livre m’a agacé au plus haut point. Je m’explique : en lisant ce bouquin, on éprouve au fil des pages et de la lecture un malaise profond… Le roman se situe dans les années 44, juste à la fin de la deuxième guerre mondiale. Nous sommes à Paris, où Simone de Beauvoir nous raconte la vie d’un cercle d’intellectuels (de gauche bien sûr !) dans le Paris de l’immédiat après-guerre… Ces gens, dont beaucoup sont communistes, fument des cigarettes de luxe, mènent grand train, ont des automobiles, se retrouvent dans des boîtes de nuit branchées de Saint-Germain des Prés ou d’ailleurs, et s’empoignent à n’en plus finir sur des questions idéologiques fondamentales qui les taraudent : quid exactement de la shoah, connaissait-on cette horreur depuis longtemps ? Peut-on développer un socialisme s'opposant au communisme ? Nos intellectuels ne vont pas tarder à se déchirer du bec et de la plume (car ce beau monde écrit dans les journaux : gens de gauche mais pas prolos !)… Dans leurs débats, deux entités s’opposent avec un parfait manichéisme : d’un côté l’épouvantable Amérique, source de tous les maux, et en face la douce URSS, pays du socialisme levant, au chevet de l’humanité souffrante et exploitée. Mais voici qu’après celle d’Hiroshima, une autre bombe explose, médiatique celle-là : il y a des camps de travaux forcés en URSS, des populations sont déportées ! Il faut dénoncer ça, clament quelques uns ! - Surtout pas ! braillent les autres, car ce serait faire le jeu du grand capital ! Et il va de soi pour ces humanistes de gauche, qu’il vaut mieux laisser mourir des millions de russes dans des camps que de porter atteinte au socialisme soviétique !.... Bien entendu, nos chers intellos, pour en discuter, se réunissent dans les endroits les plus huppés de la capitale et claquent un fric fou en clopes et alcools, en réceptions et en mondanités. Les femmes de ces brillants causeurs, elles, vont de déprimes en histoires de cul et réciproquement ! Elles se requinquent avec du scotch, des neuroleptiques et accessoirement par des psychanalyses ! L’une d’elles… « s’ennuie » dans son studio parisien ! Pensez-donc, il donne sur l’Ile de la Cité et Notre-Dame ! Il y a des coups de pied au cul qui se perdent ! Que dirait-elle, cette conne, si elle habitait un immeuble tagué de la ZUP d’Argenteuil , bâtiment R, escalier Q, logement 2146 ?... Tout le livre est comme ça ! Ces gens de gauche vivent comme des rupins, c’est la pire des gauches, une gauche caviar avant la lettre, qui s’empiffre de petits-fours et s’enivre de mots et d’idées, à cent lieues des gens du peuple ! Un pauvre ? un artisan ? un exploité ? ces gens-là qui parlent en leur nom n’en ont jamais vu, ou alors de loin. Et quand un ouvrier vient chez eux, ce n’est pas qu’il est invité : c’est juste pour déboucher les chiottes ! Ce roman pue un intellectualisme snobinard que je conchie. Simone de Beauvoir en est-elle consciente ? Veut-elle dénoncer ce milieu ? ou bien, plus probablement est-elle prisonnière de son milieu bourgeois et intellectuel, un milieu où elle, agrégée de philo, ne rencontre qu’un Sartre, agrégé de philo lui aussi, et quelques affidés du sérail ? Je n’en sais rien, mais dans ce roman, Simone de Beauvoir a surtout voulu mettre en scène son petit monde : le personnage de Dubreuilh est directement inspiré de Sartre… Henri, lui, c’est… Albert Camus, dont, au passage, Simone de Beauvoir fait un traître !!! Par ailleurs « Les Mandarins » a été dédié par Simone de Beauvoir à l’écrivain communiste américain Nelson Algren… qu’on trouve aussi dans le roman sous le nom de Lewis, écrivain avec lequel le personnage d’Anne entretient une histoire de cul à épisodes !... Et l’on sait que Simone de Beauvoir eut une relation fort étroite avec Nelson Algren à partir de 1949 ! Bref, Les Mandarins, sous un aspect littéraire primé par un Goncourt complaisant de lendemain de guerre, c’est juste du nombrilisme autobiographique intellectualisé ! Un détail pour finir : j’ai trouvé ce livre dans une poubelle, ce qui prouve qu’il y a du bon-sens chez certains lecteurs !