Par Robertcri
Dans mon jardin d'autrefois, le lys, comme le dieu Janus, avait deux visages : il y avait d'abord le lys orangé, un familier, qui poussait sans façons à quelques pas de la maison, près du perron, juste à côté d'un lilas blanc. Il était bien modeste, et bien rustique aussi, le lys orangé ; on l'aurait sans doute oublié dans son coin, sans sa ténacité et son obstination à refleurir chaque année, formant un petit buisson aux fleurs orangées, tachetées de noir ; avec lui au moins, à défaut de parfum on était sûr d'avoir des couleurs au jardin ; il faisait partie de ces fleurs aux allures campagnardes, indépendantes et fières, comme la rose trémière et la solidage, qui se moquent bien des soins du jardinier qui se rient des grandes chaleurs comme des grands froids et auxquelles un lopin de terre suffit, pourvu qu'il y ait aussi de temps à autre un peu de soleil et un peu de pluie... Il en est de certaines fleurs comme de certaines personnes : il leur en faut peu pour être heureux : ce sont des sages... Et puis il y avait l'autre lys, son grand et noble cousin le lys blanc, tout de majesté, fier de sa naissance. A son port dressé, royal, d'un orgueil presque hautain, on voyait bien qu'il connaissait son histoire : il tenait à montrer qu'il était de hautre lignée. On dit en effet, dans la Mythologie grecque, que la déesse Junon créa de son lait la Voie Lactée ; or, quelques gouttes tombant de son sein se répandirent sur la terre, créant le lys blanc !.... Tant il est vrai que sortir du sein de Junon, c'est aussi glorieux que sortir de la cuisse de Jupiter ! Et c'est ainsi que dans le petit jardin de mon enfance, le lys blanc m'éblouissait de sa noblesse ; ses larges fleurs immaculées, d'une beauté satinée, me fascinaient ; en outre, à la différence du lys orangé, le lys blanc embaumait ; et son parfum sucré était comme une invitation muette ; je m'approchais alors, envoûté, toujours plus près, pour m'enivrer de ses senteurs.. Je humais le lys en fermant les yeux, pendant quelques instants délicieux... Et quand on se moquait soudain de moi, je devinais tout de suite pourquoi : pour me punir d'être venu trop près de lui, le lys, facétieux, avait barbouillé mon nez du safran vif de ses étamines.. Le lys blanc tout de majesté m'avait fait une tête de manant, un bouffon au nez jaune ! Mais je ne m'en formalisais pas : dans mon jardin le lys était un roi, il avait tous les droits !....
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