Fumaillon
A la manière de La Bruyère
Fumaillon se veut homme de bien. Et comme il est attentif à l’air du temps, Fumaillon se fait volontiers écolo. Fumaillon est à la mode. On le voit prendre parti, il parle haut, résolument, contre les centrales nucléaires, qu’il voudrait voir arrêtées dans l’instant, même si en son logis, il allume volontiers toutes les lampes en même temps, règle ses convecteurs sur 22°C afin de ne point s'embarrasser d'un gilet sur ses épaules, et dispose pour son service de tout le matériel électro-ménager et électronique moderne : four à micro-ondes, congélateur, téléphone mobile, ordinateur et l’incontournable tablette Ipad, sans laquelle la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue, en ces temps où l’on se pique de communiquer avec les contrées les plus sauvages de notre monde en ses régions les plus australes comme les plus boréales. En bon citoyen converti à la mode nouvelle du « bio », il lit avec attention la liste des ingrédients des crèmes, des beurres et des yaourts, déchiffre comme il peut les noms barbares auxquels il ne comprend pas grand-chose, et se méfie comme de la peste des colorants, additifs divers et autres exhausteurs de goût, qu’il ne cesse de dénoncer. Il veut du naturel, le chimique le révulse. L’autre jour, comme nous échangions quelques propos et badineries sur l’agriculture et le labour de nos belles contrées, Fumaillon s’est lancé dans une furieuse diatribe contre les OGM : Honte, selon lui, aux organismes génétiquement modifiés, et que la malédiction divine les frappe de l'enfer éternel ! Il s'en fallut de peu qu’il ne s’étranglât d’indignation. Et s’il a une dent contre le maïs transgénique, ce n’est assurément pas pour le croquer, mais pour le vilipender et en dénoncer les mille et un dangers prétendus ou supposés, même s’ils ne sont en rien prouvés par la docte autorité de la Sorbonne. Semblablement, Fumaillon rêve d’emprisonner à vie tous les capitaines des laboratoires pharmaceutiques, et autres apothicaires, coupables à ses yeux de mettre en vente des médecines et des potions aux effets secondaires dangereux et mal contrôlés, et je l’ai entendu pendant plus d’une heure me narrer par le menu le scandale du Mediator, qui aurait été cause de la mort de 3000 personnes en dix ans en France. Il est intarissable, Fumaillon, pour dénoncer les dangers qui nous guettent à chaque carrefour de la vie moderne de notre siècle des Lumières, et je ne vous parle pas des antennes-relais des téléphones portables, contre lesquelles il s’emporte tous les jours avec un souci exacerbé de la santé et de la sécurité de nos vies. Il passe ainsi des journées entières en invectives et partage les saisons de sa vie en combats militants. Et pourtant, Fumaillon, si pointilleux sur les dangers des produits de toutes sortes, fume tranquillement et sans vergogne son paquet de clopes tous les jours. Curieusement, il ne lit jamais la liste des ingrédients toxiques de la cigarette, il ne voit même pas la mention « FUMER TUE » pourtant inscrite en gros caractères sur le paquet, il ne lit pas non plus les statistiques indiscutables et dramatiques qu’il est facile pourtant de consulter. Oubliée, l’écologie ! Lui qui se mobilise pour quelques victimes éventuelles des effets secondaires d’un remède qui sauve par ailleurs tant de vies humaines, il ne dit pas un mot devant les 66 000 morts provoquées réellement chaque année en France par l’herbe à Nicot. Pour le tabac dont il fait grand usage lui-même, Fumaillon soudain se tait, il ne dit plus rien, ne dénonce rien, fait mine de ne rien voir, de ne rien savoir, de ne rien entendre. Fumaillon pour le tabac devient aveugle et sourd. C’est une chose fort étonnante pour l’esprit de voir combien Fumaillon est sensible aux mille et un dangers potentiels d’un fatras de substances, cependant qu’il est en même temps complètement étranger aux dangers réels et mortels de la clope. Fumaillon se veut homme de bien, raisonneur et citoyen vigilant. Il n’est en réalité qu’un con, aveuglé par son vice, un fumeur de mauvaise foi, comme tant d’autres… Fumaillon nous empoisonne la vie. Il l’en faut dissuader par moult lois nouvelles, plus dures et coûteuses pour lui, pour que soit enfin respectée cette liberté première et vitale de tous les sujets du royaume : respirer…
Cet article est également disponible sur mon blog anti-clopes :
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