Il y a des coups d’essai qui sont des coups de maître ! Tel est le cas ici, avec Ce qui était perdu, publié en 2009 en France, superbe et attachant roman de Catherine O’Flynn qui a obtenu en 2007 le Prix Costa du premier roman en Grande-Bretagne. Si je vous dis que c’est un polar, vous allez vous imaginer tout de suite des crimes et des chasses à l’homme, avec du sang à pleines pages, des exploits de flics qui défouraillent et trois cadavres par chapitre !… Raté ! Ce qui était perdu est tout en finesse, et il recèle dans le même temps de la beauté, et du rêve, de la désespérance et de l’émotion. Mais il faut que je vous dise de quoi ça parle. En dire assez pour que ça vous accroche, mais pas trop, pour ne rien vous dévoiler de la fin, car je m’en voudrais de gâcher le plaisir de votre lecture ! Voici l’histoire. Elle se déroule dans le décor à la fois moderne, sordide, triste et bétonné d’un centre commercial de banlieue… Imaginez ce décor : les lumières de l’espace de vente, la musique, le clinquant, l'agitation, et puis tout autour et en dessous, des couloirs de béton, silencieux et sombres, des tunnels déserts et inquiétants, angoissants, avec le désordre d’un chantier encore en cours… Dans cet univers, imaginez maintenant une petite fille, Kate Meaney. Elle a 10 ans, elle est douée à l’école mais très seule. Son seul ami est Adrian qui a 22 ans. Elle se confie à lui, lui parle de son projet d'agence de filature… Car la petite fille s’amuse à jouer les détectives : dès l’école finie, elle va au centre commercial. Munie d’un carnet et d’un stylo, avec dans son sac à dos une peluche dont la tête dépasse, elle tente de repérer dans l’univers du centre commercial les gens au comportement suspect. Elle note tout dans son petit carnet : l'habillement des gens, ce qu'ils regardent, à quelle heure ils arrivent ou repartent... Un matin, Adrian accompagne la petite Kate. Ils prennent ensemble le bus, puis se séparent devant une école où Kate doit se présenter pour passer un concours. Nul ne reverra Kate Meaney. La petite fille a disparu. L’enquête va révéler qu’elle n’a pas passé le concours : aucune copie portant son nom n’a été remise… Que s’est-il passé ?... La police s’intéresse à Adrian. Il est le dernier à l’avoir vue vivante et par ailleurs cette amitié entre un garçon de 22 ans et une petite fille de 10 ans leur semble suspecte. Mais Adrian est mis hors de cause… Arrivé à ce point de l’histoire, je ne peux en dire plus… Ah si ! un détail encore : un vigile du centre commercial a aperçu sur un des écrans de vidéosurveillance, une petite fille immobile, debout. Une peluche dépassait de son sac… Mais l’image furtive a disparu… Un autre jour, Lisa, vendeuse chez un disquaire, trouve dans un recoin du centre commercial une peluche abandonnée… Le reste du livre raconte la vie de plusieurs personnages, une vingtaine d’années plus tard : Kurt et Gavin, deux vigiles du centre commercial, Lisa la vendeuse de Your Music, Teresa, l’inspectrice de police… tous sont à la recherche du passé, à la recherche de ce qui est perdu… Et ce qui est perdu, ce n’est pas seulement la petite Kate Meaney, c’est aussi cette enfance que nous perdons tous, cette innocence… le tout dans le climat de l’atroce absurdité de la société de consommation, baignée par une immense tristesse… Dans les dernières pages du livre, on apprend ce qui est arrivé à la petite fille. On n’est pas soulagé pour autant, car la fin du roman nous prend à contre-pied. Non, vous ne saurez rien d’autre, car si j’en disais davantage vous me le reprocheriez ! Lisez vite Ce qui était perdu, car ce livre est étonnant : il rassemble tout ce qu’on trouve souvent disséminé parfois dans plusieurs histoires : le suspense, l’émotion, la peur, la tristesse de la condition humaine, l’absurde, la noirceur des banlieues, dans une histoire très prenante et fort bien écrite si l’on excepte les quelques longueurs et digressions dues à l’épaisseur du bouquin : 340 pages… Mais c’est un livre excellent qui vous prend au cœur et aux tripes, et on a du mal à croire qu’il s’agit là d’un premier roman, tant l’œuvre est achevée. Ce qui était perdu est publié chez Actes Sud et coûte 22 euros. La période des fêtes approche : pensez à mettre ce bouquin en bonne place dans votre lettre au Père Noël !