Par Robertcri
LE TABAC EN PROVENCE<o:p></o:p>
A la manière d’Alphonse Daudet<o:p></o:p>
Par Robert Lasnier<o:p></o:p>
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C’était en revenant de Nîmes. Le soleil tombait dru, et il y avait trop de mistral : un vrai temps de Provence. Pressant le pas, j’arrivai au village. J’avais les chaussures pleines de la poussière blanche du chemin. Les cigales chantaient dans la lavande, lorsque j’entrai chez Garrigou…<o:p></o:p>
- Oh, bonne mère ! C’est vous, mon révérend ? me lança-t-il.<o:p></o:p>
- Eh oui ! j’apporte deux cartouches de cigarettes. Des belles, avec un beau papier blanc, des filtres dorés, et bourrées de nicotine toute jaune et de goudrons tout noirs !<o:p></o:p>
- Jésus-Maria ! Moi qui aime tant les clopes !<o:p></o:p>
- Oui, et depuis ce matin, je n’ai fait que piller les tabacs, pour acheter tout ce que j’ai pu trouver : des Murratti, des Gauloises bleues, des Marlboro, des Anfa mentholées et puis, de Fontvieille, j’ai rapporté du tabac à priser, du tabac pour la pipe, du papier OCB, des cigares…<o:p></o:p>
- Gros comment, les cigares, mon révérend ?<o:p></o:p>
- Gros comme ça ! énormes !<o:p></o:p>
- Oh mon Dieu, il me semble que je les vois ! Mais avez-vous pris aussi des allumettes ?<o:p></o:p>
- Oui, peuchère, il en faut bien, des allumettes ! Mais les cigares, vois-tu, c’était pour monsieur le marquis ! Je les lui ai portés ce matin. Il nous a invités tout à l’heure. Tu verras, nous serons quarante à table, et ce sera beau : sur les nappes brodées, il y aura des cendriers d’argent, des coupe-cigares ciselés, des allumettes dans de belles boîtes décorées, et qui ne sentent pas le soufre, qui ne piquent pas le nez et ne brûlent pas les yeux…<o:p></o:p>
- Et qui seront les invités, mon révérend ?<o:p></o:p>
- Oh ! beaucoup de monde, je te le dis : Monsieur le sous-préfet avec son épouse, le curé de Cucugnan, le poète Mistral, Numa Roumestan… et puis toi et moi !... Monsieur le marquis nous offrira ses énormes cigares…<o:p></o:p>
- Mais… et les non-fumeurs ? Il y en aura, tout de même !...<o:p></o:p>
- Eh, oui, il y en aura, Sainte-Vierge ! Et ils n’auront qu’à sortir ! Je voudrais bien voir qu’ils se plaignent ! Déjà qu’ils n’ont pas le cancer du poumon ! C’est que… c’est un beau cadeau du Bon Dieu, ça ! Et puis dehors, sur la place, ils entendront couler l’eau de la fontaine, ils respireront la lavande ! Faudrait voir qu’ils ne nous escagassent pas trop, les non-fumeurs !...<o:p></o:p>
- Et moi, quel délice, je fumerai, mon révérend, un cigare, deux cigares, trois cigares…<o:p></o:p>
- Pas trop tout de même, Garrigou ! Sais-tu qu’avec tous ceux qui fument, maintenant, on ne la sent plus guère, justement, la lavande ! Et il y a, en notre belle Provence, tant de fumée désormais, et tellement épaisse, que certains jours on ne voit plus les ailes du moulin de Fontvieille !<o:p></o:p>
- On ne voit plus les ailes du moulin ?... Eh bien, mon révérend, s’il en est ainsi, je n’y reste pas, en Provence, moi !... Par la Sainte Vierge, je prends mon chapeau, mon bâton, et je m’en vais sur la route poudreuse ! Et tout de suite !<o:p></o:p>
- Mais où iras-tu Garrigou ?<o:p></o:p>
Là où l’air est plus pur, mon révérend ! à Paris ! à Paris !.
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