• Les Taiseux - Jean-Louis Ezine -

     L’auteur, Jean-Louis Ezine, a eu la gentillesse de me dédicacer ainsi son livre « Les Taiseux » (publié en 2010 chez Gallimard) :

    Pour Robert Lasnier, qui aime jouer avec les mots et tient un blog sur «Le Bal des mots dits », cette rencontre avec un autre Robert, en témoignage de sympathie », le 14 février 2010, au Bois-la-Croix (Pontault-Combault).

    Ancien habitant du Plessis-Trévise, je ne pouvais qu’être heureux de ces quelques mots d’un écrivain voisin. Pourtant,  même si ça fait plaisir, c’est un peu embarrassant, une belle dédicace. C’est un peu comme lorsque le fabricant d’aspirateurs vous refile vingt sacs à poussières gratuits : pas facile de lui dire ensuite que son aspirateur est trop bruyant !... Heureusement, le talent de Jean-Louis Ezine me met partiellement à l’abri de ces affres. Et puis, il en conviendra : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur »… Si vous avez le courage de me lire jusqu’au bout, vous saurez le nom de l’auteur de cet aphorisme célèbre !...  Mais en attendant, allons-y pour la critique : « Les Taiseux » est un ouvrage autobiographique, le récit d’une vie ; c’est bon signe et c’est aussi de mauvais augure. C’est  bon signe, car on se dit qu’au moins cette vie est une vie originale, qui vaut la peine d’être contée… D’un autre côté, si elle vaut d’être narrée, cette existence, c’est probablement qu’elle a été dure, triste, douloureuse… Les vies pépères entre la belle-doche et les chiards, les allocs et les vacances l’été dans une bicoque de location à Jard, ça n’intéresse personne. La vie c’est comme le train : ça n’intéresse que si ça déraille et qu’il y a des victimes. De ce point de vue, l’auteur a été servi, et l’on ne saurait qualifier de banal son parcours : un père inexistant, et une vie familiale dans laquelle s’exprime uniquement, si l’on peut dire, le silence épais des « taiseux ». Et puis l’auteur fait sur sa parentèle mystérieuse d’étranges découvertes. La vie qu’il nous raconte ressemble à un roman, mais pas à un roman rose. On n’imagine pas que ça puisse exister, on se dit qu’il a dû inventer, en rajouter… même pas… Tout est vrai, douloureusement vrai… Mais tout n’est pas désespérant. Dans la noirceur, on voit briller çà et là des lumières : ces lumières, c’est par exemple cet humanisme que l’on voit chez l’instituteur venant au secours de l’enfant… Curieusement, l’enfance de Jean-Louis Ezine a évoqué chez moi l’enfance de Jean Meckert, autre écrivain qui, lui, est bien oublié… Dans Les Taiseaux, il y a cependant quelque chose qui m’a gêné. En effet, de loin en loin, Jean-Louis Ezine abandonne soudain une écriture claire et expressive, vivante  et évocatrice, pour tomber dans des trucs plus ou moins intellos, plus ou moins hermétiques…. Prenons des exemples : voici d’abord un très beau passage : « J’ai eu un étrange pressentiment en arrivant devant la maison. On n’entendait aucun bruit. Je suis d’abord allé voir si la moto était là, ce qui n’était pour moi qu’une façon de me préparer à la présence éventuelle de monsieur Ezine. Elle n’y était pas. Je suis entré  dans la maison sans raser les murs, j’ai cherché maman, elle n’y était pas. Elle pouvait être en ville, à ses courses ou à ses ménages. Je me suis alors rendu compte que Lady n’était pas dans son chenil et que les clapiers avaient été vidés. Quand la nuit est tombée, j’ai su qu’il était arrivé quelque chose. »… On lit, on est captivé, pris dans l’ambiance, le cœur se serre, on est, nous aussi, dans cette maison déserte, on sent monter en soi une angoisse sourde, dans cette progression du vide et de l’absence … On pourrait en lire des pages et des pages, comme on boit une Tourtel : jusqu’au bout de la nuit !… Et puis, patatras ! à côté de ça, on lit soudain : « J’ai pensé à la phrase de Jules Lachelier que Paul Claudel citait souvent dans ses cours : Le monde est une pensée qui ne se pense pas, suspendue à une pensée qui se pense. »… Ou bien : « Parfois maman apercevait du monde devant la dalle grise où la pompe des solennités injectait une dose létale de regrets. »…  Plus loin encore : « Il était en puissance en tout lieu sans qu’on puisse le fixer dans aucun. Cet athlète est bien la preuve que le monde est une monade, comme l’a argumenté Leibniz : une substance indivisible et inétendue sur laquelle on peut varier les points de vue, et qui paraît se démultiplier selon la pluralité des perspectives qu’elle offre à l’esprit… »… Bon, j’arrête, on aura compris mon propos : ces « envolées » me semblent inutiles ici. Un récit intelligent n’a, selon moi, pas besoin pour autant d’intellectualisme. Ces phrases pleines de références philosophiques ont quelque chose d’artificiel, de plaqué, elles sont des ruptures préjudiciables au récit. On quitte soudain un récit prenant… pour se retrouver dans le grand amphi de la Sorbonne, et on n’était pas venu pour ça !... L’enfance de l’auteur se suffit à elle-même dans sa grandeur  poignante. Il n’est nul besoin de ces assaisonnements pédants. Si j’étais l’éditeur, je dirais à Jean-Louis Ezine : « Allez hop ! Vire-moi ces fioritures, reste simple, ce n’en est que plus beau ! »… Mais je ne suis pas Gallimard, juste  un lecteur lambda, un brin critique j’en conviens. Ah, je vous l’avais promis : c’est  Beaumarchais qui a écrit : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur »…

    Bio : Jean-Louis Ezine est né le 24 septembre 1948, à Cabourg. Il est critique littéraire au Nouvel Observateur. Par ailleurs il est membre de la fine équipe de l’excellente émission Le Masque et la Plume sur France Inter le vendredi soir (Essayez, vous verrez, c’est moins con que la télé !). Enfin, vous pouvez écouter chaque jour Jean-Louis Ezine, qui tient une courte et incisive chronique sur France-Culture chaque matin. Comme écrivain, il a écrit trois romans :

    La Chantepleure, Un Ténébreux, Les Taiseux… 


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :