• LE POIS DE SENTEUR

    Le jardin d'Ivry n'était pas un espace infini ; ce n'était qu'un bien modeste terrain, un tout petit jardin de banlieue, un jardinet disait ma mère. Mais tout y poussait, comme à la campagne, à cent mètres du métro ! Quand la place est ainsi mesurée, il faut veiller à n'en rien perdre ; le moindre mètre carré est une surface précieuse. Aussi mon père avait-il entouré certaines plantations d'un grillage constitué de simples mailles métalliques et dont la hauteur était d'une soixantaine de centimètres. De cette manière il faisait coup double : il protégeait les plantations de mes éventuelles incursions maladroites et destructrices, et en même temps il offrait au pois de senteur cette petite muraille grillagée où il se ferait une joie de grimper hardiment, sans prendre la moindre place au sol. Et il ne s'en privait pas ! Dès que l'été s'installait, le pois de senteur entamait l'escalade. Sorti soudain du sol où mon père avait enfoui quelque temps auparavant les graines délicates, il partait bientôt à l'assaut du grillage... Les tiges du pois de senteur n'ont rien de régulier, elles se lovent et s'étirent épousant la forme de leur support, s'y accrochant telles des lianes gracieuses, en des contorsions étranges et variées,s'insinuant sous le grillage, le traversant, le contournant, s'y enroulant, l'escaladant toujours, infatigables... Au bout de quelques jours, de quelques semaines tout au plus, merveille du jardin, voici que les humbles grillages avaient achevé leur belle métamorphose : ils s'étaient transformés en petites palissades fleuries. Les pois de senteur alors explosaient en un festival multicolore. Mais ce n'est pas pour rien que le pois de senteur est ainsi baptisé ; outre ses couleurs généreuses, il répand alentour des effluves enivrants ; ce n'est pas quelque chose de capiteux ni de poivré, c'est au contraire un parfum d'une grande douceur, qui évoque des paradis exotiques et sacrés, mystérieux et inconnus, des îles désertes et fleuries où pousseraient, anarchiques et belles, des lianes odorantes... Le pois de senteur m'entraînait ainsi dans le sillage de son parfum envoûtant. Alors, charmé et subjugué, je partais vers un ailleurs fabuleux et magique, vers les terres lointaines, imaginaires et secrètes de mes rêves d'enfant, au coeur d'un petit jardinet, à cent mètres du métro...


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