• La peau et les os, par Georges Hyvernaud

     

    La quatrième de couverture est peu engageante : elle nous rappelle qu’en juin 1940, des centaines de milliers de vaincus s’acheminèrent vers les stalags en Allemagne…Georges Hyvernaud, l’auteur,  instituteur charentais, fut l’un de ces prisonniers de guerre comme il y en eut tant pendant la deuxième guerre mondiale… Humiliation, promiscuité, témoignage, les mots-clefs sont tous là, qui d’habitude me font fuir… Je supporte mal les témoignages : je me dis souvent que plus c’est vécu, moins c’est vrai… Je me suis dit : Encore un livre, un de plus, sur la guerre, sur les prisonniers ! En plus, rien de très excitant : un stalag n’a pas la puissance dramatique d’un camp de déporté…. Mais bon, j’ai tout de même ouvert le livre, peut-être en mémoire de mon père, qui fut lui aussi prisonnier en Allemagne, et s’en évada en 1942… J’ai ouvert le livre donc… et j’ai été immédiatement subjugué par Hyvernaud… Par le style d’abord : des phrases simples et claires, avec des mots précis, concrets, qui s’enchaînent dans un texte qu’on lit avec une grande facilité… Et puis surtout, Hyvernaud réussit là où échouent souvent les témoignages : il ne se limite pas aux souffrances qu’il a éprouvées pendant ses cinq années de détention, il les dépasse, les transcende, leur donne une signification, les installe dans une dimension historique, politique, humaniste et philosophique… Le témoignage, l’expérience personnelle, le vécu, ne sont pas ici le but narcissique de l’oeuvre , mais un point de départ pour atteindre à l’universel et donc à la littérature dans ce qu’elle a de plus grand…. Répétons-le enfin, tout cela est écrit sans pédantisme, sans nombrilisme et se lit d’un trait… Terminons en précisant que lire ce livre, c’est réparer une cruelle injustice :  La peau et les os  n’a eu aucun succès lors de sa parution en 1949, malgré le soutien de Sartre, de Martin du Gard et de Cendrars… Peut-être était-on trop proche de la fin de la guerre… Georges Hyvernaud  fut presque totalement oublié. Lorsqu’il mourut,  le 24 mars 1983, un seul critique, Jean José Marchand, évoqua sa disparition.
    Lisez La peau et les os, vous ne le regretterez pas, et il ne vous en coûtera que quelques euros chez Pocket : un tout petit prix pour un très grand livre. Un livre sur la guerre ? Non ! Un livre sur la condition humaine.
    Quelques extraits :
    "ça n'a pas de sens, le sens de la vie. Je ne veux pas tricher. Je ne veux pas expliquer. J'ai fait ça toute ma vie. J'en ai assez. Je ne veux plus me défendre devant cette évidence déchirante de l'absurdité. On a construit aussi des philosophies là-dessus. Je sais. Mais j'en ai assez des philosophies. L'absurdité ça ne se démontre pas, ça ne se raisonne pas, ça ne sert pas à faire des conférences pi des articles de revue. On l'éprouve dans tout son être."
    "Un corps de pauvre c'est comme une chemise de pauvre. Ca trouve toujours un lambeau de force pour la tâche immédiate. Après, on verra. On ne pense même pas à ce qui viendra après. Bon pour les riches, les projets."
    " L'énergie spirituelle, c'est des choses qu'on met dans les livres. Ca n'existe pas. Ici dans les cabinets, au milieu de ces types déculottés... Ce qui les soutient, on ne sait pas trop ce que c'est. Sans doute cette obstination à durer, ce tenace attachement, cet accrochement des vivants à la vie qui empêche les syphilitiques, les tuberculeux et les cancéreux de se foutre à la rivière. Mais sûrement pas l'énergie spirituelle. !"
     

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