• George SAND

    LES FUMEES DE CONSUELO<o:p></o:p>

    à la manière de George Sand<o:p></o:p>

    Par Robert Lasnier<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Le jeune et beau seigneur aborda le professeur.<o:p></o:p>

    -         Par le corps de Bacchus, vous allez me dire, maître, laquelle de vos ravissantes élèves vient de passer, en fumant une cigarette si parfumée que j’en ai le cœur qui chavire…<o:p></o:p>

    -         Et pourquoi voulez-vous que je vous le dise, comte Zustiniani ? répondit le professeur, d’une voix qui laissait transparaître une sourde irritation.<o:p></o:p>

    -         Pour lui faire compliment, reprit le patricien sans paraître remarquer l’agacement de son interlocuteur. Vous savez combien je suis un dilettante en matière de tabac ; je respire toutes les volutes, mais celles-ci m’ont enchanté.<o:p></o:p>

    -         A ce point ? demanda le professeur, en savourant une large prise de tabac avec une complaisante dignité.<o:p></o:p>

    -         Oui, à ce point. Mais je vous en conjure, dites-moi le nom de la créature céleste qui, en fumant, m’a jeté dans de tels ravissements.<o:p></o:p>

    -         Je vois qu’elle vous a plu, poursuivit le maître…<o:p></o:p>

    -         Sa fumée délicieuse m’est venue au nez, puis du nez au cœur. Et tandis que sa cigarette grillait, moi je brûlais de la connaître. Je n’étais plus, moi-même, qu’un mégot : je me consumais…<o:p></o:p>

    -         La voici, pour vous seigneur. Elle se nomme Consuelo. Et il désigna d’un geste large l’humble et douce jeune fille qui venait d’entrer par hasard. Elle avançait d’un pas léger et gracieux, tenant entre ses doigts délicats et blancs de jeune vierge un long fume-cigarette d’où s’exhalaient des vapeurs bleutées d’une légèreté infinie qui enveloppaient son corps d’une douce fumée comme l’eût fait un voile diaphane et pur.<o:p></o:p>

    -         Mademoiselle, balbutia le comte… mais il ne put achever. Un vertige l’avais saisi, sans qu’il eût pu dire quelle en était l’exacte cause. Peut-être son trouble était dû aux effluves embaumés qui montaient des doigts de la jeune fille. Peut-être était-ce dû à l’effet de sa taille qu’elle avait fine et bien prise, et de sa gorge qui palpitait en se gonflant chaque fois qu’elle aspirait une bouffée de sa cigarette… La jeune fille rougit devant le charme sculptural du comte Zustiniani. Elle se sentit soudain brûler d’ardeur, et un feu intérieur la consuma, comme se consumait sa Marlboro. Son innocence pourtant l’empêchait d’en deviner la raison. Elle ignorait que les tourments de l’amour pussent ainsi remuer son corps et faire vibrer ses nerfs. Au temps où se passe ce récit, les jeunes filles ne montraient pas leur point G sur TF1 aux heures de grande écoute. Le comte pourtant s’était repris, et il déclama ce compliment devant la jeune fille :<o:p></o:p>

    -         «  Ah que le Ciel m’oblige en offrant à ma vue<o:p></o:p>

      Les célestes attraits dont vous êtes pourvue… »<o:p></o:p>

    En même temps il éprouva le désir fou de prendre le fume-cigarette de la jeune fille, et de tirer à son tour une bouffée, tout en posant sa bouche frémissante à l’endroit même où la jeune fille avait posé ses lèvres délicatement rosées… Mais il se contint et n’en laissa rien paraître. La jeune fille rougit à nouveau, sous l’effet de sa pudeur candide.<o:p></o:p>

    Le professeur intervint, paraissant soudain préoccupé :<o:p></o:p>

    -         Je crois, monsieur le comte, dit-il,  que vous devriez ne point ainsi faire tant de dévotion au tabac, et qu’il serait plus opportun, plus prudent aussi dans ces temps que nous vivons, de rechercher d’autres plaisirs. Il n’en manque point.<o:p></o:p>

    -         Et pourquoi donc, professeur, voudriez-vous donc m’empêcher de pétuner ?<o:p></o:p>

    -         Mais, poursuivit le professeur, n’avez-vous point entendu ce que l’on dit de par la ville ?<o:p></o:p>

    -         Si fait ! répondit le comte. On parle de tant de choses ! De la comtesse Cecilia qui a quitté son prince, de la petite baronne Carla qui l’a remplacée, et de ce petit duc presque inconnu, Fillon  je crois, dont on fait si peu de cas à la Cour et qui ne s’en console point, sans compter Kouchner le grand bouffon du Pouvoir dont on se gausse…<o:p></o:p>

    -         Ce n’est pas de cela que je veux vous entretenir, monsieur le comte, mais de cet édit que le Prince veut promulguer en son royaume, et dont on fait des gloses dans nos gazettes, tant la chose est étonnante et  si soudaine aussi.<o:p></o:p>

    -         Et que dit-on ? Parlez !...<o:p></o:p>

    -         Eh bien, monseigneur, reprit le professeur, on dit que bientôt, en tous les lieux publics, il ne sera plus permis de pétuner, que l’on fût prince ou roturier. On dit que la chose sera faite dans peu de temps, pour le premier jour du nouvel an !<o:p></o:p>

    -         Baste ! s’exclama le comte ! La nouvelle ne me gêne point ! Songez que, au contraire, elle me permettra de voir la belle Consuelo en un endroit privé, où elle aura tout loisir de me faire respirer sa fumée !... Et cette perspective me ravit ! Consuelo rougit à nouveau violemment. Le comte se tourna galamment vers elle, et avec une infinie délicatesse :<o:p></o:p>

    -          Me permettrez-vous Consuelo, d’aller quérir pour vous une cartouche de ces divines cigarettes que vous fumez, et de vous les offrir en signe de mon amitié ?<o:p></o:p>

    -         Vous ne le pourrez point, seigneur, quand bien même le voudriez-vous absolument !...<o:p></o:p>

    -         Et pourquoi donc, ma belle enfant ?<o:p></o:p>

    -         C’est que, voyez-vous, monsieur le comte… depuis deux jours maintenant, les buralistes sont en grève !<o:p></o:p>


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