• Le tabac du Père Nicot<o:p></o:p>

    A la manière d’Emile Zola<o:p></o:p>

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    Par Robert Lasnier<o:p></o:p>

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    Penchée à sa fenêtre, Gervaise regarda au loin dans la rue grasse où de lourds nuages mettaient comme de la suie dans le ciel bas de novembre. Elle aperçut d’emblée les âcres fumées qui sortaient du tabac du Père Nicot, au bout de la rue qui longe les fortifications.  La pluie s’était mise  tomber, en gouttes fines et glaciales, et Gervaise frissonna sous son châle. Les fumées sortaient en nappes troubles des moindres interstices du bâtiment délabré. A travers la lumière jaunâtre des becs à gaz qui éclairaient la salle, on voyait les ombres gesticulantes des fumeurs engoncés dans leur vice. C’est là qu’était encore son homme, Coupeau, assurément. Elle imaginait bien l’endroit, pour y être allée quelquefois rendre au tenancier les quelque vingt ou cent sous qu’elle avait dû emprunter pour payer le terme. C’était une salle basse au plafond noirci ; là, les hommes, abêtis par la fumée, inhalaient ce poison de nicotine. Dans ce lieu de pestilence, l’odeur prenait à la poitrine dès l’entrée ; c’étaient d’abord les senteurs puissantes du caporal, le gros gris, qui se déployaient avec force. Bientôt cependant on discernait d’autres senteurs : le cigare, épais et puissant, dévalait dans la salle et mettait ses arômes, lourds comme des senteurs d’aisselles. On suffoquait sous cette puanteur où se mêlaient en d’étranges accords les remugles des hommes et les bouffées sales des mégots. Tout cela s’épandait en nappes épaisses comme un parfum de foule sordide, et les cigarettes, sur lesquelles tiraient des bouches avides, allumaient  des points rougeoyants qu’on discernait vaguement dans le brouillard qui noyait l’établissement. On parlait ici avec des voix rauques, et les propos grasseyaient entre les quintes de toux qui secouaient tous ces fumeurs aux poumons ravagés. La fumée leur détruisait la poitrine, les yeux leur piquaient, et ils larmoyaient sous l’irritation que leur causaient les fumées. Les cendriers étaient pleins de mégots, et ça débordait en cendres grisâtres qui tombaient  sur le sol carrelé. Là, les pas des hommes les étalaient, et les cendres, mêlées à la pluie que chacun apportait en entrant, à la semelle de ses souliers, avaient tôt fait de transformer le plancher en une surface emplâtrée d’ordure, où l’on glissait dans une purée sordide, sombre et collante. Pourtant, malgré son aversion, Gervaise éprouvait parfois comme un chatouillement qui la prenait au creux des reins, une grande folie qui la transportait à la pensée de toute cette fumée. Le tabac la terrorisait, mais aussi il la fascinait, et il lui semblait sentir, dans la respiration  âcre et forte de la fumée, un souffle puissant de vie et de mort, comme le grand rut de la terre qui l’emportait, l’étourdissant jusqu’au vertige…<o:p></o:p>


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  • J’FUME PLUS !<o:p></o:p>

    A la  manière de San Antonio<o:p></o:p>

    Par Robert Lasnier<o:p></o:p>

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    La porte du burlingue claqua sec, comme une tarte dans la gueule bien appliquée. Putain, Anatole, ça c’est une nouvelle qui sent le fion : au premier janvier, t’as plus l’droit de te carrer une clope entre les chicots, gronda l’Enflure, tout en se fourrant un barreau de chaises entre les ratiches, un havane de derrière les fagots. Pas de réponse d’Anatole. Mais ça gémissait dur derrière la lourde. Dans la salle de bain, il avait rien esgourdé, Anatole Blondeau. C’est pas qu’il était sourdingue, mais seulement vachement occupé,  tandis qu’il se fourbissait le zigomard sous la douche. Tout ça à cause de Juliette qu’était venue tout à l’heure et qui l’avait salement allumé. La petite salope. Elle avait dix-neuf ans la môme, pas dégueulasse, des cannes fuselées de première bourre, jupe hyper-mini, des miches larges comme des deltaplanes, une brune tendance « aux burnes » ; rien que de la voir, tu lui aurais touché l’écureuil sans attendre les présentations. Anatole sortit, la nouille amollie tant par la nouvelle que lui répéta l’Enflure que par la décharge  qu’il venait, c’est le cas de le dire, de se foutre à pleine pogne ! <o:p></o:p>

    -         Plus de clopes ? et pourquoi ? c’est quoi c’t’embrouille à la con ?...y aurait comme qui dirait des risques ?<o:p></o:p>

    -         Ouais, c’est ce que disent les pontes : si tu fumes, tu peux choper plein de saletés illico, t’as même le choix, zyeute l’échantillon : une acrocyanose de Patouillard, un aphte à Line, une ataxie G7, un épanchement de Sidonie, une sclérose en plâtre, ou un simple cancer des bronches avec métastases généralisées et césure à l’hémistiche !<o:p></o:p>

    Anatole restait coi, quoi ! Subjugué il était. Il se reprit, attrapa un paquet de pipes qui s’emmerdait sur le coin d’une commode, et s’en grilla une, une Lucky Strike, tirant goulument sur la tige, comme une vierge assoiffée qui suce un braquemard de dinosaure géant en rut. Puis, pour se rebecqueter le moral, il décolleta prestement une boutanche de cognac VSOP, s’en servit une rasade qu’il avala en clapant de la menteuse : Va pas être la noce, Juliette, avec cette nouvelle loi ! Plus fumer ?... Non, le législateur, il connait pas Juliette : Elle préférera s’arrêter de se faire tirer, défoncer, grimper, enfiler, poinçonner, plutôt que de lâcher la  clope. Elle qui se tape ses deux paquets de Players tous les jours… Et les poulardins ? T’imagines le taf qu’y vont avoir pour faire respecter la loi ? Imagine : un mec tousse dans la rue… et hop, on lui renifle dans la gueule et on lui fout une contredanse ! On n’est pas sortis de l’auberge avec cette loi anti-tabac !<o:p></o:p>

    L’Enflure branlait du chef, pensif, en se grattant les burnes, signe chez lui d’un grand désarroi ostentatoire… Sur ce sujet fumeux, s’agissait pas de mégoter ! Il tonna soudain, comme Bossuet surprenant Madame de Sévigné en train de s’astiquer la motte pendant le sermon à l’église Saint-Paul :<o:p></o:p>

    -         C’est un coup monté des non-fumeurs, ça, y a pas à tortiller du cul pour chier droit !  Ils sont cons comme c’est pas possible, les non-fumeurs, des mecs avec un QI très bas, aussi profond que le Titanic, et qui ont un lavement à la place du cerveau… La vie, ça avait de la gueule, du temps du tabac : tu te plantais profond une cibiche dans les badigoinces, et une allumette plus tard, tu gloussais d’extase, mon pote ! Sans compter que ça occupait les pognes : fallait choisir les clopes, craquer les allumettes, vider les cendriers, couper les cigares. Ca faisait des trucs qui passaient le temps… La vie c’est souvent qu’un long tunnel d’emmerdes, et la clope ça y mettait un peu de lumière… Comment qu’on va se faire chier désormais !<o:p></o:p>

    -         Pas forcément, hasarda Anatole…<o:p></o:p>

    -         Pas forcément…Pas forcément ?... et il restera quoi dans la vie, à part la baise ?<o:p></o:p>

    Anatole se concentra, puis, péremptoire :<o:p></o:p>

    -         Y restera au moins trois trucs, des trucs pas faciles à gérer, mais qu’il faut bien maîtriser pour être heureux : le gode, la chiasse, et la gerbe !<o:p></o:p>

     Y avait rien à répondre ! Il avait raison, Anatole, avec sa gueule d’empeigne. Platon aurait pas dit mieux chez les Grecs. Alors l’Enflure balança son mégot en éructant. <o:p></o:p>

    -         J’fume plus, qu’il gueula, j’fume plus !....<o:p></o:p>


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  • AUX CLOPES, CITOYENS !<o:p></o:p>

    Discours de Robespierre au Comité de Salut Public<o:p></o:p>

    Le 21 Fructose An II<o:p></o:p>

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    Salut et Fraternité !...<o:p></o:p>

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    Citoyens ! Je suis en mesure de vous présenter l’ensemble du nouveau travail dont vous m’avez chargé. Le jour est venu de payer notre tribut à l’impatience publique en mettant fin à un des privilèges les plus abjects qui soient : celui de fumer. A la Cour, on voit partout ce spectacle affligeant, cette chose indigne d’une République : le roi et les princes, mais aussi les nobles et les seigneurs, hobereaux sanguinaires, fument avec arrogance l’herbe à Nicot, dans de riches salons décorés des plus insolentes soieries payées avec l’argent de ceux qui n’ont rien, courbés qu’ils sont sous le joug implacable d’une monarchie agonisante. Nous ne tolérerons pas plus longtemps que le peuple n’ait droit, lui, qu’à quelque fumée, tandis que les affameurs, les tyrans, jouissent seuls des Players, et des Craven en boîte de métal doré ! Sachez-le, citoyens, on en voit même, à Versailles, fumer les plus odieuses cigarettes qui soient : « Les Royale ». Que peut fumer aujourd’hui le peuple ? Rien ! Qu’aspire-t-il à fumer demain ? Tout !  Qu’est-ce que je lui donne à fumer ? Des clopes !... Dès demain, m’appuyant sur les avis de Danton, Marat et Camille Desmoulins, unis pour la même cause salvatrice, je réclame le droit de fumer pour tous, librement et sans entraves. Chaque citoyen doit pouvoir brandir sa clope comme le roi son sceptre jadis. Mais nous n’accepterons pas, pour les cigarettes, ce qu’il nous faut bien tolérer – hélas - de la nature : il n’y en aura pas des courtes et des longues, des grosses et des minces ! Non, citoyens ! Les cigarettes seront toutes égales en longueur et en diamètre. Les temps nouveaux sont venus, après une Révolution qui n’eut pas d’équivalent et ne connut jamais d’exemple plus glorieux sur la terre, et nul ne pourra plus dire et se vanter qu’il en a une plus grosse que son voisin ! La cigarette égale pour tous apportera le bonheur à chacun. Certes, des factieux de la Gironde, des traîtres que j’entends murmurer dans l’ombre, mais aussi certains que je vois ici-même sur les bancs de cette assemblée, objectent que cette disposition déplaira aux citoyennes, lesquelles préféreraient dit-on, que les bouts puissent en être différents au motif que ça en changerait le goût ! Je récuse cette vile assertion, comme l’intolérable bassesse  de ces calomnies, au nom de la Vertu et de la Raison, qui seules doivent triompher de la tyrannie et du joug de l’oppression. Je fustige ces ennemis du peuple, je dénonce ceux qui s’opposent au tabac populaire et entendent en réserver l’usage à des tyrans corrompus et farouches qui épuisent le Tiers-Etat ! Je décrète ces opposants hors-la-loi, traîtres à la Patrie et à la Révolution et, je le proclame solennellement devant vous, messieurs, au nom de la Nation souveraine : Tout non-fumeur qui refusera de prêter serment au tabac républicain, aura la tête tranchée !<o:p></o:p>

    J’en ai terminé, citoyens, mon discours est clos sur ce grand objet qui occupe toute ma pensée. Au nom du Comité de Salut Public que je préside, je vous invite à vous lever, et à reprendre en chœur, avec moi, le nouvel hymne national :<o:p></o:p>

    « Fumons… fumons…<o:p></o:p>

    Qu’un air impur…<o:p></o:p>

    Encrasse nos poumons ! »<o:p></o:p>


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  • ALLER CHERCHER DANS LE TABAC<o:p></o:p>

    A la manière de Raymond Queneau<o:p></o:p>

    Par Robert Lasnier<o:p></o:p>

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    Aller chercher au fond des tripots le tabac piraté<o:p></o:p>

    Aller chercher au fond des tabacs les cigarettes immenses<o:p></o:p>

    Aller chercher au fond des bronches les tumeurs envahissantes<o:p></o:p>

    Aller chercher au fond des poches les mégots consumés<o:p></o:p>

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    Aller chercher dans les cigarettes la nicotine inhalée<o:p></o:p>

    Aller chercher au fond de l’air les goudrons essoufflés<o:p></o:p>

    Aller chercher dans les cendriers la toux opiniâtre<o:p></o:p>

    Aller chercher au fond de la pipe l’âcreté de la fumée<o:p></o:p>

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    Aller chercher dans chaque clope la mort tabagique<o:p></o:p>

    Aller chercher dans les volutes un bonheur encrassé<o:p></o:p>

    Chercher à s’empoisonner, ou bien enfin à s’arrêter<o:p></o:p>

    C’est ce qu’on peut faire en vain ou bien avec raison.<o:p></o:p>

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  • ET SI ON S’ARRÊTAIT DE FUMER ?<o:p></o:p>

    A la manière de Philippe Delerm<o:p></o:p>

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    Par Robert Lasnier<o:p></o:p>

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    On s’est levé de bonne heure. D’emblée la pensée est venue : Et si on s’arrêtait de fumer ? On a dit ça comme ça, comme une résolution qu’on prend soudain, une petite décision du matin mais qu’on ne veut pas anodine. Elle engage un avenir que l’on sait incertain. On la formule avec un brin d’hypocrisie. On sait confusément que ce ne sera pas facile. On a pris soin d’employer le conditionnel : et si on arrêtait de fumer ? C’est le conditionnel qui est important.  Car on n’est pas sûr qu’on tiendra, et si la fumée l’emporte, on ne semblera pas avoir cédé au manque de  nicotine, on aura seulement obéi au conditionnel, une simple précaution lexicale. Notre volonté n’aura pas été prise en défaut. Fumer n’est pas pétuner, ce n’est pas non plus chiquer dans l’amertume de l’herbe à Nicot. Fumer c’est le plaisir à l’envers, une joie ambiguë qui fume et qui enfume celui qui n’en voudrait pas, avec cette petite jouissance  que donne l’abondance gâcheuse des cendriers trop pleins. Sur la terrasse, on s’est posé pour un moment d’oisiveté qu’on voudrait libre.  On n’est point dans le désir badin. On a mis la cigarette à la bouche, on prolonge l’instant, en quête d’une attente qu’on ne saurait définir. Une éternité qu’on espère, sans oser se l’avouer, un toujours qui n’aurait pas de fin, dans la griserie tabagique qui assouvit.  Mais le frottement de l’allumette nous fait sursauter. On n’avait pas même fait attention qu’on venait de la craquer. On n’a plus même conscience de l’addiction. La flamme ne vacille pas, et on aspire goulument, le regard attentif et légèrement plissé, cette montagne de plaisir pervers contenu dans la fumée. Comme elle est longue et douce, la première bouffée ! Ce pourrait être un dimanche de pluie, ou un matin de neige, on ne ferait pas la différence. Le fumeur n’a qu’une saison de beau temps : celle où il inhale son poison.  Une fumée bleutée s’envole, bonheur délicieux  du tabac blond, promesse d’une ivresse dont on sait qu’il faudra bien la payer, échanger quelques heures de délices contre un cancer sournois. Alors on met aussi le cancer au conditionnel : Et si je ne l’attrapais pas ? On se rassure en souriant, on met en place une petite ruse dérisoire, toujours la même, qui ne trompe que soi-même ; on retourne le paquet de cigarettes, pour ne pas lire ces mots dont l’augure nous effraie : FUMER TUE !... Alors on aspire profondément une autre bouffée, plus longue… Les premières gouttes d’une averse viennent mouiller le jardin mais on n’en a cure. Une troisième bouffée vient encore, et l’on ferme les yeux sous l’extase : comme la mort semble douce dans la fumée du tabac !... <o:p></o:p>


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