• Certaines n'avaient jamais vu la mer, roman de Julie Otsuka, 2011

    Certaines n’avaient jamais vu la mer, roman de Julie Otsuka, 2011

    Voici un livre étrange, à mi-chemin entre le roman et le documentaire historique, et qui n’est donc ni l’un ni l’autre, mais cependant un peu les deux. Et d’emblée, il faut le dire, ce bouquin est chiant par la forme et poignant par le fond. Cela mérite quelques explications. Les voici : sur le fond, l’auteur, une américaine dont la grand-mère était japonaise, s’inspire de faits réels à la fois humains et pitoyables : à la fin du 19 siècle, il y avait aux Etats-Unis beaucoup d’hommes, ces fameux pionniers venus s’installer en Amérique avec des rêves de  fortune plein les yeux. Mais ils n’avaient pas de femmes !... Et au Japon, il y avait plein de toutes jeunes femmes qui vivaient dans une grande précarité, au sein de familles très pauvres... Que croyez-vous qu’il arriva ? Les pionniers américains écrivirent des sortes de petites annonces matrimoniales, accompagnées de photos, et les envoyèrent au Japon... Quant aux Japonaises, elles les lurent, éblouies : rien que des beaux mecs, belle gueules, avec des métiers mirobolants et lucratifs. Elles se voyaient déjà en petites princesses comblées, aimées et choyées, bref la vie de château ! En résumé ils étaient faits pour se rencontrer, car depuis que le monde est monde, les hommes cherchent avant tout une femelle pour assouvir leurs pulsions, tandis que les femmes cherchent d’abord un mâle friqué capable de leur faire plein de mouflets ! C’est comme ça !... Voilà donc nos Japonaises, qui par centaines s’embarquent vers cet Eldorado américain, serrant contre leur cœur une petite annonce et une petite photo... Hélas, quand elles arrivent, elles ont vite fait de déchanter : le « Bel homme, 24 ans 1m78, yeux clairs, possédant ranch et élevage »  est en réalité un ouvrier agricole de 45 ans, sale et dépenaillé ivrogne et violent, et qui touche un quart de SMIC tous les deux mois !... Et toutes les autres Japonaises sont dans le même cas ! Forcément, les femmes sont naïves et les hommes hâbleurs ! Forcément hâbleurs, les hommes, sinon les femmes ne seraient jamais venues ! C’est un peu comme  pour les hommes politiques : s’ils nous disaient la vérité, on ne voterait pas pour eux ! La nature humaine est ainsi faite qu’elle adore le mensonge... Et ce livre est donc l’histoire de toutes ces femmes japonaises, bernées et déçues et qui pourtant restent, travaillant presque comme des esclaves, habitant dans des galetas en guise de palais, puis faisant des tas de mouflets parce que c’est la nature qui veut ça, sous les lambris dorés comme dans le fumier d’une étable... Et puis les choses vont encore s’aggraver pendant la deuxième guerre mondiale ; en effet, après l’entrée en guerre du Japon, les Américains voient des ennemis et des traîtres potentiels dans tous ces Japonais et leur descendance, présents sur le sol américain : une sombre déportation commence... On le voit, cette histoire est dramatique et touchante... Mais la lecture en est chiante... pourquoi ? Pour une raison simple, c’est que l’auteur, pour raconter cette histoire, procède par chapitres thématiques qui ne sont le plus souvent que de longues énumérations. Par exemple, pour décrire la désillusion des femmes à propos des résidences qu’elles trouvent en arrivant, l’auteur liste ces résidences décevantes : « chez nous c’était une longue tente ; un lit de camp dans un baraquement ; un dortoir en planches au camp numéro 7 ; une paillasse dans l’écurie ; une couchette dans un wagon de marchandises ; un vieux poulailler occupé avant nous par des Chinois ; un coin du lavoir au Cannery Ranch...etc...il y en a comme ça plusieurs pages ! Rebelote avec le chapitre consacré aux naissances des innombrables marmots : encore une interminable énumération : l’une a des jumeaux, l’autre une enfant mort-né, la troisième n’arrive pas à en avoir, la quatrième... etc.. etc....à nouveau quatre pages de litanies... Certes, cette accumulation tend à montrer et à souligner le nombre immense de toutes ces misères, à la fois si différentes et si semblables... La démarche d’écriture est originale, mais tout de même : à lire, c’est chiant. Mais globalement, c’est un livre à lire, car il lève le voile sur cette émigration japonaise peu connue, sur son caractère douloureux pour tant de femmes, qui ont cru au paradis et ont trouvé l’enfer, tout en ayant la force d’y vivre.


  • Commentaires

    1
    skaograch
    Samedi 24 Janvier 2015 à 13:55
    contrairement à toi, j'ai beaucoup apprécié le choix de l'auteur concernant la voix et le style choisis
    2
    Robertcri Profil de Robertcri
    Dimanche 25 Janvier 2015 à 10:02
    Merci Paule ! Eh oui, heureusement que nous n'avons pas tous la même appréciation de la lecture, de l'écriture, de la littérature ! bise
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