• Ascenseur pour la Grande Ourse - Saïd Lahlouh-Prévost -

    Un livre comme « L’Ascenseur pour la Grande Ourse » nous réconcilie avec la littérature, avec les livres ! On est loin ici du fatras des romans imbéciles à l’eau de rose, loin des épanchements  physiologiques et idéologiques qui emplissent tant  de bouquins nombrilistes aujourd’hui… Rien n’est bien-pensant ni conventionnel dans cet Ascenseur ! A commencer par la numérotation des chapitres : on commence ici par le chapitre 50 et on s’achemine vers la fin, vers le chapitre  zéro… Un peu comme si le livre était un compte à rebours, et ce n’est pas un hasard, je n’en dirai pas plus : il faut ménager le suspense !… Le cadre de l’histoire a de quoi choquer la lectrice romantique ou le lettré traditionnaliste : l’histoire se déroule en effet dans une casse au bord de la RN 7 en banlieue parisienne, quelque part du côté de Villejuif. Un immense cimetière de voitures accidentées, réduites à l’état d’épaves. Forcément, dans ce milieu, on n’a pas la morale de tout le monde : ici, on se réjouit des départs en vacances et des week-ends meurtriers sur les routes, car ça rapportera beaucoup de carcasses de bagnoles. Un peu comme aux Pompes funèbres, on prospère sur la mort. Le narrateur est devenu un véritable expert ; rien qu’à explorer une épave, il sait tout sur ses occupants : s’ils étaient jeunes ou vieux, riches ou pauvres, si la passagère était belle, tout… Mais il ne s’y fait pas, tout de même, au malheur : sur la pare brise étoilé, il trouve souvent encore quelques cheveux collés, un peu de sang… Et à l’arrière, une poupée brisée, une petite chaussure d’enfant, quelques objets hétéroclites, dérisoires témoins d’une vie qui s’est brisée à cause de l’énergie cinétique, une vraie salope celle-là !… selon l’auteur lui-même. Au long des pages, nous voyons vivre cette casse et ses personnages un peu paumés…  Souvent, des chiens atterrissent ici, écrasés sur la RN 7, et on les soigne quand il y a encore quelque chose à soigner… Il y a « Le Singe », le petit apprenti toujours perché dans l’immense tas de ferraille des carrosseries dangereusement empilées, il l’apprendra à ses dépens… Il y a le patron de la casse, Georges, qui dilapide les bénéfices dans le jeu, les courses, puis finira par s’avilir complètement en pariant sur des combats de chiens. Le narrateur médite sur ce monde imbécile dans lequel nous vivons : entre une voiture fragile et des arbres en bois dur, le match est perdu d’avance  c’est l’arbre qui gagne. Et puis, tant de cons au volant, au milieu de tant d’arbres, de tant de piliers en béton, sans compter les virages, forcément, ça se termine souvent mal !... Et partout dans le monde, c’est pas mieux : la violence, la guerre… Comment lutter contre l’inacceptable ? La grand-mère du narrateur lui racontait autrefois que les morts quittaient la terre pour rejoindre la Grande Ourse… Alors une idée germe dans son esprit. Il dérobe des pièces détachées qu’il emporte avec lui pour construire  en secret une machine, un missile,  dont il se  servira pour punir les méchants de ce monde… Le compte à rebours commence, et du chapitre 50 au chapitre 0, nous suivons l’avancée de ce projet fou…5…, 4…, 3…, 2,… 1… Un projet qui aboutira... qui échouera ?... A vous de le découvrir en lisant  « L’Ascenseur pour la Grande Ourse »… Vous saurez tout au chapitre zéro !<o:p></o:p>

    L’écriture est remarquable, précise, descriptive, claire et souvent imagée, dans un style qui brille là encore par son non-conformisme, une écriture qui est en parfaite harmonie avec le milieu glauque des casses ; en voici un extrait :<o:p></o:p>

    « Une casse, c’est impressionnant quand on connaît pas. Ca fait même un peu zone si on a pas assez d’imagination. Celle de Georges, on y entre entre deux immenses colonnes de pneus de camions. C’est pas le Panthéon. Autour du périmètre, c’est du bon gros grillage, un petit peu barbelé quand même, pour éviter la fauche, sauf du côté du fond, opposé à la nationale. Là c’est un grand mur en parpaings, avec des tessons de bouteilles en haut, coulés dans le béton. J’appelle ça le mur de Berlin. Ca classe le paysage, il faut dire, et pas à l’Unesco… En plus, les artistes du coin, sans vouloir dénigrer, c’est plutôt les gros mots que la fresque allégorique.  Georges, il hausse les épaules. C’est pas le genre parano, mais tout était déjà comme ça quand il a acheté la taule, alors il allait pas démonter. Depuis le temps, il y fait même plus attention. Dans sa casse, c’est déjà bien, on lâche pas les chiens le soir en fermant la baraque comme dans d’autres que je connais. C’est même plutôt aux antipodes, tout bien considéré, Georges, son quotidien, si on y regarde de près, ça relève surtout de la flambe, de la SPA et de la Soupe Populaire : quand il est pas fourré à Vincennes, à Longchamp, ou au PMU du coin, les jours où y a pas trop de clients, le plus clair de son temps, c’est de payer un ballon de rouge et un croûton à tous les pauvres types qui passent, à condition qu’ils lui racontent une histoire ou qu’ils fassent une partie de quatre-vingt-et-un. »<o:p></o:p>

    Dans le texte aussi, çà et là, quelque aphorisme, une pensée philosophique, une remarque désabusée, ou une belle trouvaille de vocabulaire… Une écriture en parfaite symbiose avec l’histoire, une histoire qui contient de la dérision, du désespoir, de l’humour, du désenchantement, un livre humain, un livre à ne pas louper !<o:p></o:p>

    L’’auteur, Saïd Lahlouh-Prévost, est diplômé d’une grande école d’ingénieurs. Il a occupé plusieurs postes en recherche et développement. Il vit à présent à Ivry-sur-Seine, et exerce en tant que consultant et formateur dans le domaine des nouvelles technologies.<o:p></o:p>

    « L’Ascenseur pour la Grande Ourse », 2006, par Saïd Lahlouh-Prévost,  éditions Danger Public (ça s’invente pas !) 15 euros, mais ça les vaut !<o:p></o:p>


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