Mardi 24 juillet 2001
Ce mardi est un beau jour d’été, chaud et ensoleillé, et quand j’arrive à 14h30 au n° 46 de la rue Saint-Jacques, lieu du rendez-vous pour la visite, j’ai l’impression d’être écrasé par le soleil… Mais j’ai une autre surprise : je ne reconnais qu’à peine le bâtiment de La Sorbonne. Moi qui ai toujours vu sa façade toute noire, au temps de ma folle jeunesse, voici qu’elle est redevenue du ton de la pierre blonde et chaude… Tant d’années ont passé et je n’étais jamais revenu dans ce quartier, ou plus exactement, je n’étais plus jamais passé devant la Sorbonne. La visite commence… C’est à la fois décevant et très beau ! Ce paradoxe apparent s’explique ainsi : en venant, j’imaginais découvrir cette vénérable institution, fondée par Robert de Sorbon en 1257, au milieu du 11è siècle… Or il ne reste rigoureusement rien des bâtiments d’origine ! Pas une pierre, pas un vestige, pas l’ombre d’un objet quelconque !…Tout a disparu, car l’histoire de La Sorbonne est celle d’une longue suite d’avatars… Il ne reste de la Sorbonne que le nom ; les bâtiments sont, eux, récents. Essayons de les résumer, ces avatars :
La Sorbonne des premiers temps : A l’origine, il s’agissait d’un établissement d’enseignement pour étudiants pauvres, fondé par Robert de Sorbon, un théologien qui était le chapelain de Saint-Louis. La création de cet établissement marque le retour, enfin, d’un goût pour la connaissance , qui avait fait cruellement défaut au 10è siècle, lequel n’a produit chez nous absolument aucun texte présentant le moindre intérêt culturel, philosophique ou religieux. Notre pays est alors largement soumis aux Anglais, et par ailleurs il n’y a aucune autorité royale, mais seulement des seigneurs se comportant comme des pillards et qui écument les provinces… Long siècle d’obscurantisme intellectuel… Le retour à l’envie de connaissances a été consécutif aux rencontres fructueuses avec la culture musulmane, à l’occasion des trois premières croisades qui se sont échelonnées de 1095 à 1192…
Très rapidement, la Sorbonne prend un rôle prépondérant dans l’enseignement de la théologie, mais ce n’est qu’en 1554 qu’elle prend justement le nom de « Sorbonne », bien après la mort de son fondateur Robert de Sorbon, décédé à Paris 280 ans plus tôt, en l’an de grâce 1274.
La reconstruction : La Sorbonne médiévale ne va pas survivre… Au 17è siècle, Richelieu fait procéder à sa reconstruction complète. Tout est abattu. Même l’ancienne chapelle (qui se trouvait au centre de l’actuelle grande cour) est détruite. A la place, une nouvelle chapelle est édifiée par Lemercier, avec son dôme caractéristique en hémisphère, typique justement de Lemercier : Richelieu en pose la première pierre le 1er mai 1635. Cette chapelle est ornée de peintures de Philippe de Champaigne. Elle abritera en 1694 le tombeau de Richelieu, décédé en 1642. Lemercier construit également tous les autres bâtiments de la Sorbonne.
La Sorbonne, outre son rôle d’enseignement, s’érige en tribunal ecclésiastique pour censurer tous les ouvrages jugés contraires à l’orthodoxie. C’est ainsi que la Sorbonne va s’opposer fortement aux jésuites au 16è siècle, aux jansénistes au 17è siècle, puis aux Encyclopédistes au 18è siècle. La Sorbonne sera fermée au moment de la Révolution, en tant qu’établissement ecclésiastique. C’est Napoléon qui en fera une Université d’Etat, ce qu’elle deviendra de fait en 1824.
La nouvelle Sorbonne : Les bâtiments allaient connaître encore une nouvelle transformation. En effet, la 3è République est caractérisée par sa foi immense en l’enseignement ; de la connaissance, pense-t-on alors avec un enthousiasme naïf, naîtra une humanité nouvelle, plus riche et plus fraternelle, qui mettra fin aux guerres... C’est dire à quel point on est utopiste à l’époque ! Par ailleurs, la République entend montrer qu’elle peut faire aussi bien que les rois ; et si les rois bâtissaient des palais, la République veut, elle, construire un palais de la connaissance… C’est dans ces conditions que la Sorbonne est reconstruite, une fois encore. Le projet en est confié à l’architecte Nénot. La chapelle de l’époque de Richelieu est conservée. Tout le reste est détruit, et les bâtiments actuels sont édifiés. Nénot, quoique fort critiqué comme trop classique, a su toutefois édifier des bâtiments moins austères que les précédents, tout en veillant à leur harmonie par rapport à la chapelle existante. La nouvelle Sorbonne est inaugurée le 5 août 1889, pour marquer l’anniversaire de l’abolition des privilèges un siècle plus tôt, dans la nuit du 4 au 5 août 1789… Elle devient une Faculté des Lettres et une Faculté des Sciences. La 3è République, imprégnée du culte de la science et du positivisme, entendait montrer ainsi que la philosophie, les lettres, et les sciences humaines en général, ne pouvaient être coupées de la science, considérée comme source privilégiée de toute connaissance et comme facteur de progrès.
Au rez-de-chaussée, on trouve un hall somptueux, tout en longueur, qui longe la rue des Ecoles, et qui est décoré de vastes peintures symbolisant le savoir sous ses diverses formes. Puis un hall magnifique constitue le point de départ de deux escaliers monumentaux, dont l’un symbolise la science, l’autre les lettres. Entre le vide qui sépare les deux escaliers, le regard monte jusqu’à la voûte, qui s’orne d’un grand vitrail polychrome. Une grille forgée forme la rampe de l’escalier, elle est ornée d’écussons dorés représentant les armes de toutes les villes de France possédant une université. A l’étage, de vastes fresques marouflées retracent l’histoire de la Sorbonne, depuis l’enseignement d’Abélard au Moyen-Age… D’autres toiles montrent de grands hommes dans leurs divers savoirs : Bernard Palissy, Ambroise Paré, Descartes, Pascal, Laënnec, Lavoisier… Un grand salon aux décorations fastueuses contient un portrait en pied du Cardinal de Richelieu, par Philippe de Champaigne.
Le grand amphithéâtre : C’est encore un lieu prestigieux, avec ses 1200 places en hémicycle. Il est décoré sur les côtés de statues : Robert de Sorbon, Richelieu, Pascal, Lavoisier, Descartes… Au-dessus de la chaire professorale, la salle est décorée d’une vaste fresque de Puvis de Chavanne, intitulée « Le Bois Sacré ». Sur fond de paysage vert et brun, assorti aux fauteuils de l’amphi, on voit évoluer des personnages allégoriques, qui, assoiffés de connaissances, viennent s’abreuver aux sources du savoir, représentées par des femmes et qui ont pour noms : Géométrie, Physiologie, Eloquence, Philosophie, Botanique, Géologie… tout un programme !…
La visite se termine ici… A noter que la Sorbonne a perdu son caractère d’établissement spécifique : les universités Paris 1, Paris 2, Paris 3 et Paris 4 s’y partagent un certain nombre d’enseignements, essentiellement pour des raisons de prestige…
L’accès à la chapelle n’est pas possible en raison d’une manifestation qui en interdit l’accès… Je retrouve la rue des Ecoles, toujours écrasée de soleil, pour une longue balade à pieds jusqu’au Jardin des Plantes, à côté de cette vieille faculté des Sciences de la rue Cuvier, où je fus moi même étudiant… il y a bien longtemps !…