Il y a un peu plus de trois cents ans mourait Bossuet, le 12 avril 1704. Que sait-on encore aujourd’hui de Bossuet, dont tout le monde ou à peu près connaît le nom, tandis que d’autres, un peu plus cultivés, connaissent aussi le surnom qui lui est resté : « L’Aigle de Meaux » ? Il fut en effet nommé évêque de cette ville en 1681… et surnommé « l’aigle » car comme l’oiseau il pouvait s’élever très haut par son éloquence ; et de même, il pouvait également, comme l’aigle, fondre brutalement sur sa proie, car il était un redoutable polémiste… Mais Bossuet fut beaucoup plus que cela : Evêque certes, mais aussi théologien, polémiste, prédicateur, précepteur du Dauphin, historien, orateur, grand écrivain, membre de l’Académie Française… Certes, beaucoup des écrits de Bossuet sont aujourd’hui pratiquement illisibles pour nos contemporains, sauf pour des chercheurs ou des étudiants ; il demeure pourtant des œuvres qu’on peut, et qu’on devrait lire encore avec profit, notamment :
- Les Sermons
- Les Oraisons funèbres
En effet, on trouve dans ces textes tout ce qui fait l’éloquence de Bossuet, à savoir un art extraordinaire du discours de circonstance, maniant la persuasion, la grandeur et la gravité du style, souvent aussi la poésie et l’image forte… Il y a même un paradoxe, à savoir que Bossuet détestait le genre de l’oraison funèbre ; en effet, il s’agit de dire du bien de celui qui vient de mourir ; or souvent, que peut-on dire de bien, au sujet de certains grands personnages dont la vie n’a été qu’une longue suite de dépravations ?!!! Bossuet contourne cette difficulté de la façon suivante : il fait de ses oraisons funèbres des sermons, le nom du défunt n’étant qu’un prétexte, une sorte de toile de fond pour accompagner en fait un sermon.
Par ailleurs, la mort est, évidemment, un de ses thèmes de prédilection. C’est même le thème central du Sermon sur la mort :
« C’est une étrange faiblesse de l’esprit que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés et de mille formes diverses. On n’entend dans les funérailles que des mots d’étonnement de ce que ce mortel est mort. Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui a parlé, et de quoi le défunt l’a entretenu ; et tout d’un coup il est mort. Voilà, dit-on, ce que c’est que l’homme ! »
Citons également l’oraison funèbre de Henriette d’Angleterre, (août 1670) ; comme je le disais tout à l’heure, dans cette oraison, Bossuet, au-delà de la défunte Henriette d’Angleterre, prononce en réalité, une fois encore, un sermon sur la mort :
« Ô nuit désastreuse, ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte ! Quoi donc ! Elle devait périr si tôt ! Dans la plupart des hommes, les changements se font peu à peu, et la mort les prépare ordinairement à son dernier coup. Madame cependant a passé du matin au soir, ainsi que l’herbe des champs… Nous mourons tous ; nous allons sans cesse au tombeau, ainsi que des eaux qui se perdent sans retour. En effet, nous ressemblons tous à des eaux courantes. De quelque superbe distinction que les hommes se flattent, ils ont tous une même origine, et cette origine est petite. Leurs années se poussent successivement comme des flots ; ils ne cessent de s’écouler ; tant qu’enfin, après avoir fait un peu plus de bruit et traversé un peu plus de pays les uns que les autres, ils vont tous ensemble se confondre dans un abîme où l’on ne reconnaît plus ni princes, ni rois, ni toutes les autres qualités superbes qui distinguent les hommes ; de même que ces fleuves tant vantés demeurent sans nom et sans gloire, mêlés dans l’Océan avec les rivières les plus inconnues. »
Il faut bien voir aussi que, tout au long de sa vie, Bossuet va se trouver, très souvent « assis entre deux chaises » : c’est en effet un ecclésiastique plongé dans un monde inégalitaire, c’est une époque marquée par des guerres, des émeutes, des famines, des passions religieuses ; et Bossuet se trouve pris sans cesse entre des intérêts contradictoires : le roi, et le pape : comment plaire à l’un sans déplaire à l’autre… Il y a dans les discours de Bossuet aussi une certaine violence dans le ton et l’expression, et on peut se demander si cette violence est le reflet d’une certaine violence de Bossuet lui-même, ou si elle est seulement un effet oratoire, une accentuation du discours destinée à marquer ceux qui écoutent les sermons avec plus ou moins d’attention…
Bossuet est né en 1627 à Dijon. Il est issu d’une famille de parlementaires dont les origines sont pourtant modestes ; son grand-père était artisan charron, et fabriquait des roues ; du reste, trois roues figurent dans les armes de Bossuet, pour rappeler cette origine artisanale. Son père était Conseiller au Parlement ; il a également un oncle financier, possédant une grande fortune. Dans son enfance, Bossuet est marqué par les nombreuses insurrections qui éclatent, en particulier à cause de la lourdeur des impôts : il faut savoir que sous l’impulsion de Richelieu, le roi (Louis XIII jusqu’en 1643) mène des guerres coûteuses, et qu’il lève sans cesse de nouveaux impôts. Et de cette époque de troubles, Bossuet gardera toute sa vie une horreur des émotions populaires et un goût prononcé pour l’ordre… Bossuet fait de bonnes études, d’abord chez les Jésuites au Collège des Goudrans, à Dijon. Il reçoit la tonsure en 1635 ; il a alors huit ans, et on le destine à la carrière ecclésiastique. C’était souvent le sort des cadets ; l’aîné reprenait la charge du père, tandis que les cadets, pour s’élever dans la société, devaient s’orienter vers la carrière religieuse, ou encore la carrière militaire. Après les études à Dijon, Bossuet devient chanoine de Metz, puis poursuit ses études à Paris où il fréquente le Collège de Navarre, qu’on pourrait qualifier à la fois de célèbre et de passable : il rassemblait en effet les plus grands par la naissance ou les fonctions, mais l’enseignement dispensé y était particulièrement fastidieux… En 1652, il est ordonné prêtre à 25 ans, après une retraite dirigée par Vincent de Paul, puis est reçu Docteur en théologie. Bossuet est nommé alors grand archidiacre de Metz. C’est un poste intéressant, mais c’est aussi un poste de combat, car la ville compte un tiers de Protestants, avec aussi beaucoup de juifs ; et il ne faut pas oublier que, après les guerres de religion, on vit encore dans un climat de conflits permanents entre protestants et catholiques. Il faut noter qu’à cette époque, en raison même des passions religieuses, la formation des prêtres est faite également dans l’esprit de polémiquer avec les protestants. Et Bossuet, justement, va pouvoir, à Metz, se montrer un polémiste remarquable. Il avait des talents d’orateur depuis toujours, prononçant son premier sermon à l’âge de seize ans. Il va trouver aussi, à Metz, son adversaire, le pasteur Paul Ferry. Par ailleurs il s’intègre à la « Confrérie du Saint-Sacrement » qui est une société occulte qui avait aussi intégré Saint-Vincent de Paul, que Bossuet a d’ailleurs rencontré. A ce propos, on a voulu voir dans Vincent de Paul une sorte d’Abbé Pierre du 17è siècle ; ce n’était pas tout à fait le cas ; au sein de la Confrérie du Saint-Sacrement, l’objectif premier de Vincent de Paul était en premier lieu de convertir les pauvres, avant de les secourir…
Remarqué par Anne d’Autriche, Bossuet prêche à la chapelle Saint-Thomas du Louvre, devant la Cour, dans le cadre du Carême du Louvre. On est surpris parfois par les propos tenus par Bossuet sur l’égalité des hommes ; c’est le cas par exemple de l’ode funèbre de Henri de Gornay, prononcée en 1658 :
« Quoique Dieu et la nature aient fait les hommes égaux, en les formant d’une même boue, la vanité humaine ne peut souffrir cette égalité, ni s’accommoder de la loi qui nous a été imposée de les regarder tous comme nos semblables. De là naissent ces grands efforts que nous faisons tous pour nous séparer du commun, et nous mettre en un rang plus haut par les charges ou par les emplois, par le crédit ou par les richesses. Que si nous pouvons obtenir ces avantages extérieurs, que la folle ambition des hommes a mis à un si grand prix, notre cœur s’enfle tellement, que nous regardons tous les autres comme étant d’un ordre inférieur à nous ; et à peine nous reste-t-il quelque souvenir de ce qui nous est commun avec eux. Considérons avec attention les trois états où nous passons tous successivement : la naissance, le cours de la vie, sa conclusion par la mort. Plus je remarque de près la condition de ces trois états, plus mon esprit se sent convaincu que, quelque apparente inégalité que la fortune ait mise en nous, la nature n’a pas voulu qu’il y eût grande différence d’un homme à l’autre… Enfin, après tout arrive la mort, qui, foulant aux pieds l’arrogance humaine, et abattant sans ressources toutes ces grandeurs imaginaires, égale pour jamais toutes les conditions différentes, par lesquelles les ambitieux croyaient s’être mis au-dessus des autres. »
Ce texte est remarquable, car il est étonnant de trouver alors un discours égalitaire, surtout en un siècle, le 17è, où l’inégalité est une véritable institution : il y a le Roi, au-dessus de tous, de droit divin, puis les nobles, avec là encore toute une hiérarchies très stricte dans les privilèges, et enfin, le clergé et le peuple… On a coutume de dater l’apparition de la notion d’égalité de la Révolution Française et de la fameuse « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789 ; et on s’attendrait plutôt à trouver de tels propos chez Rousseau ; or il est intéressant de noter qu’en fait cette notion d’égalité a des sources plus anciennes, et qu’elle est rattachée, comme chez Bossuet, à des valeurs de la chrétienté.
Par ailleurs, Bossuet ose souvent critiquer la conduite du roi. En fait, il a fort à faire ! Le roi Louis XIV mène une vie particulièrement dissipée. En particulier, il s’éprend de sa belle-sœur, Henriette d’Angleterre, une femme brillante, épouse de Philippe d’Orléans ; pour éviter ça, on jette dans son lit la Lavallière ; et en 1665, Bossuet prononce un sermon dans lequel il est question des mœurs de Louis XIV.
Il écrit :
« C’est là que naissent les péchés régnants, qui ne se contentent pas qu’on les souffre, ni même qu’on les excuse, mais qui veulent encore qu’on les applaudisse ».
Le roi ne pouvait que se reconnaître dans cette expression de « péchés régnants », mais ne se fâche pas ; toutefois il marque sa désapprobation, et n’honore plus Bossuet de sa présence pendant les sermons de la chapelle Saint-Thomas du Louvre.
Mais jamais il n’y aura de brouille entre Bossuet et Louis XIV ; d’ailleurs, Bossuet se fait un champion du Gallicanisme, c’est à dire une sorte de catholicisme à la française, qui donne au roi une place éminente, avec une certaine indépendance vis-à-vis du pape et de Rome.
En 1670, tandis que le roi s’est détaché de la Lavallière pour Mme de Montespan, Bossuet semble s’adresser de plus en plus directement à Mme de La Vallière :
« Si vous regardez la nature des passions auxquelles vous abandonnez votre cœur, vous comprendrez aisément qu’elles peuvent devenir un supplice intolérable… Elles sont toutes elles-mêmes des dégoûts, des amertumes… »
Et aussi :
« Une partie de votre mal consiste dans un certain étourdissement que le bruit du monde vous a causé et dont votre tête est toute ébranlée : il faut vous mettre à l’écart, il faut vous donner du repos… »
C’est l’époque où Mme de la Vallière fait sa première fugue chez les Carmélites d’Auteuil ; et plus tard, c’est Bossuet qui va la convaincre d’entrer dans les ordres, ce qui aurait pu déplaire au roi, même si alors il était avec la Montespan !…
Dans un autre sermon très connu, le « Sermon du Mauvais Riche », Bossuet, s’adressant à Dieu, s’en prend aux grands :
« Vous les avez faits grands pour servir de pères à vos pauvres. Votre providence a pris soin de détourner les maux de dessus leurs têtes, afin qu’ils pensent à ceux du prochain. Vous les avez mis à leur aise et en liberté afin qu’ils fassent leur affaire du soulagement de vos enfants ; et la grandeur, au contraire, les rend dédaigneux ; leur abondance, secs ; leur félicité, insensibles. Je ne m’en étonne pas : d’autres pauvres, plus pressants et plus affamés ont gagné les avenues les plus proches : je parle de ces pauvres intérieurs qui ne cessent de murmurer, quelque soin que l’on prenne de les satisfaire, toujours avides, toujours affamés dans la profusion et dans l’excès même, je veux dire nos passions et nos convoitises. L’aise, la joie, l’abondance remplissent l’âme de telle sorte qu’elles en éloignent tout sentiment de la misère des autres. C’est pourquoi ils meurent de faim dans vos terres, dans vos châteaux, dans les villes, dans les campagnes, à la porte et aux environs de vos hôtels ; nul ne court à leur aide. Dans les provinces éloignées et même dans cette ville, au milieu de tant de plaisirs et de tant d’excès, une infinité de familles meurt de faim et de désespoir ».
En 1665, Bossuet connaît quelques moments difficiles ; en effet Anne d’Autriche (épouse de Louis XIII) meurt, et Bossuet perd en elle son soutien actif et celui du « Parti des dévots ». Malgré tout il est nommé en 1669 évêque de Condom, petite ville du sud-ouest. Mais surtout, l’année suivante, en 1670, il est nommé précepteur du Dauphin ; à ce titre il est à la tête de toute une équipe, et Louis XIV lui confie la charge de l’éducation de son fils Louis ; ce sera même une lourde charge, dans la mesure où le dauphin se révèle un parfait imbécile, et ne s’intéresse à rien, seulement préoccupé de chasse et de danse ; il est, selon une expression de Saint-Simon « Enfoncé dans sa graisse et ses ténèbres. » C’est un vrai crétin ! Bossuet, toujours dévoué au roi, va pourtant se consacrer pendant dix ans à ces fonctions ; elles seront pour lui l’occasion d’un travail intense : d’abord, Bossuet va devenir un véritable expert en matière d’étude des écritures saintes. En outre, il rédige divers ouvrages destinés à l’éducation du dauphin : « Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même », « Traité du libre-arbitre » ainsi que son « Discours sur l’Histoire Universelle » où il expose sa conception de l’histoire, inspirée par la Divine Providence.
Bossuet cesse ses fonctions de précepteur en 1680, au mariage du Dauphin. La pédagogie de Bossuet n’a sans doute pas été fameuse, et on ne le saura jamais puisque le dauphin mourra et ne régnera jamais.
Sur le plan philosophique, Bossuet se situe parmi les cartésiens ; cela peut surprendre, alors que l’on voit la plupart du temps en Descartes, une sorte de prophète du matérialisme, par son côté scientifique, logique, rigoureux. Il demeure que Descartes est avant tout un philosophe chrétien, écrivant, dans son œuvre, un certain nombre de preuves de l’existence de Dieu. Et Bossuet se montre cartésien en ce qu’il s’efforce toujours d’étayer la religion chrétienne par des raisonnements logiques, et en montrant et affirmant le caractère rationnel du monde, au-delà des apparences parfois désordonnées qu’il présente, cette rationalité étant pour lui d’essence divine. Et on peut dire, d’ailleurs, que Bossuet fut un des derniers représentants d’une démarche rationnelle dans l’Eglise…
En 1671, il entre à l’Académie française, mais il faut remarquer que son origine modeste l’empêche d’accéder aux plus hautes fonctions : en particulier il ne sera jamais cardinal en dépit de son talent ; de très nombreuses oppositions se manifestent en effet contre lui, de la part de nobles de la haute aristocratie.
Il faut noter également que tout au long de sa carrière, Bossuet a réalisé des conversions, s’efforçant de ramener dans l’Eglise les protestants. Toutefois, il faut dire un mot de son attitude envers les protestants :
En effet, bien que redoutable polémiste et grand orateur, Bossuet n’était ni un extrémiste ni un fanatique ; dans le climat de passions religieuses déchaînées de l’époque, il est favorable au dialogue, pratique volontiers une attitude de main tendue et d’entente, au-delà des différences et des différends. Il y a été habitué en fait par sa position toujours délicate, entre par exemple les intérêts du roi, et ceux du pape, souvent contradictoires, et qu’il lui fallait également ménager et concilier…
Un autre combat mené par Bossuet fut ce lui qu’on appelle « La controverse sur l’interprétation des écritures ». En effet un Oratorien très instruit, Richard Simon, avait étudié le latin, le grec et l’hébreu, en vue d’étudier les textes de la Bible dans les différentes versions ; et il avait écrit un livre intitulé « Histoire critique de l’Ancien Testament », dans lequel il avait démontré en particulier que les cinq premiers livres de la Bible, qu’on appelle le « Pentateuque » et qui constituent la Bible des juifs, n’avait pas pu être écrite par Moïse lui-même comme on le disait ; en effet, un passage du Pentateuque évoque la mort de Moïse, et ne peut donc avoir été écrit par lui ! Or, Bossuet intervient et fait interdire le livre de Richard Simon. Cette attitude est révélatrice : elle nous montre un Bossuet très figé, et violemment hostile à toute remise en question des croyances ; en fait, Bossuet comprend une chose : toute controverse sur les écritures entraîne une perte du sacré. En un sens, il a raison bien sûr, et le dix-huitième siècle va accentuer le déclin du religieux, mais Bossuet n’a peut-être pas raison de faire interdire les études ; en effet, il laisse dans ce cas le champ libre à d’autres, les protestants notamment, qui peuvent entreprendre à leur tour d’autres études, au détriment de la pensée catholique. Ce qui fait qu’on a pu dire dans cette affaire que Bossuet élevait des digues de sable contre la marée montante !… Mais pour comprendre Bossuet, il faut se rappeler qu’il a été marqué dans son enfance par les émeutes dues aux impôts et aux famines, et il en a conçu une véritable haine des émotions populaires, il aime l’ordre et répugne à tout changement qui risque, selon lui, d’entraîner des troubles ou des désordres… Il ne faut jamais oublier, pour comprendre un personnage, de revenir à certains événements de sa vie, et notamment de son enfance ; car ces événements orientent souvent, durablement, une action, une pensée ou une attitude générale…
En 1679, Bossuet est nommé évêque de Meaux, fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1704, après avoir été nommé entre temps Conseiller d’Etat en 1698.
Un de ses derniers combats fut celui qui l’opposa à Fénelon, évêque de Cambrai, à propos du Quiétisme. C’est d’autant plus étonnant que c’est Bossuet lui-même qui nomma Fénelon évêque. Quant au Quiétisme, il s’agissait d’une doctrine inspirée par Miguel Molinos, théologien espagnol (1628-1696), selon laquelle l’âme humaine pouvait éprouver l’extase sans péché dès lors qu’elle s’abandonnait complètement et passivement à Dieu… et Bossuet dénonçait en particulier le mysticisme d’une madame Guyot, dont les extases (spirituelles !) étaient bien proches d’un orgasme bien physique !…
Notons au passage que Bossuet a montré toute sa vie, dans ses écrits en tout cas, une véritable hantise de la sexualité, perçue comme le Mal absolu. On lui a cherché des aventures féminines ; à cet égard, on sait qu’il a entretenu des correspondances, soit avec certaines abbesses, soit avec de jeunes femmes dont il était le confesseur : on note en tout cas le ton très tendre de ces lettres…
Le combat acharné que livra Bossuet contre Fénelon est un peu regrettable ; il se déroula en effet dans un climat de fin de règne, où Louis XIV est perçu de plus en plus, et même par les nobles, comme un despote sénile, face à la montée des sciences et des Lumières ; et le combat de deux évêques ne pouvait que déchaîner l’ironie des sceptiques !…
Bossuet est malade en 1703 et apprend de ses médecins qu’il a la « maladie de la pierre » : on appelle ainsi, alors, les calculs rénaux. Il meurt l’année suivante, le 12 avril 1704, à Paris.
Conclusion : Laissons, pour finir, la parole à Chateaubriand, qui, dans le Génie du Christianisme, dit que Bossuet fut le premier des Romantiques, par sa capacité à s’isoler du monde, pour méditer, pour penser… Il reste enfin que, au-delà des aspects théologiques, Bossuet reste un grand écrivain, capable de tous les effets de style, capable souvent d’effets poétiques qu’il place dans ses textes les plus graves ; en voici un exemple, dans cette évocation de la clémence, où il écrit :
« La clémence est autant agréable aux hommes qu’une pluie qui vient le soir ou dans l’automne, tempérer la chaleur du jour ou celle d’une saison brûlante, et humecter la terre que l’ardeur du soleil a desséchée. »
Terminons enfin par quelques pensées diverses de Bossuet, encore d’actualité et qui peuvent être méditées :
- Nous nous plaignons de notre ignorance, mais c’est elle qui fait presque tout le bien du monde ; ne prévoir pas, fait que nous nous engageons.
- La guerre est une chose si horrible que je m’étonne que le nom seul n’en donne pas horreur.
- La santé dépend plus des précautions que des médecins.
- Le plus grand dérèglement de l’esprit est de croire les choses parce qu’on voudrait qu’elles soient, et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet.
- La sagesse humaine apprend beaucoup quand elle apprend à se taire.
- Le bonheur humain est composé de tant de pièces qu’il en manque toujours.
- On ne peut se rendre maître des choses en les possédant toutes ; il faut s’en rendre maître en les méprisant toutes.
Après ce long article, il ne vous reste plus qu’à vous rendre dans une bibliothèque municipale, et à vous installer dans un coin, pour lire dans le silence les Oraisons Funèbres de Bossuet et ses Sermons…Mais non, vous ne le regretterez pas ! On n’est pas obligé de tout lire !...