Par Robertcri
Les Coups – roman de Jean Meckert – 1942 –
Les Coups, c’est une histoire simple. On serait presque tenté de la qualifier de trop simple, banale, et donc inintéressante au possible. Mais ici l’extraordinaire talent d’écrivain de Jean Meckert transforme cette banalité, et la sublime en un ressort dramatique puissant, qui, de page en page et d’anecdotes en petits faits, nous entraîne dans la terrible spirale de l’incompréhension de deux êtres que l’amour rapproche et que tout le reste sépare... Félix, le héros du livre, est un brave gars, à peine un ouvrier, plutôt un manœuvre. Il fait son boulot avec conscience, mais sans gloire... La gloire, généralement, c’est pas pour les ouvriers. Il s’intéresse à tout ce qui passionne les ouvriers, c’est-à-dire à peu près rien, sauf les potes et la bibine. Et puis il rencontre Paulette. Elle, c’est la secrétaire du patron de Félix... C’est la classe au-dessus. Elle a de l’éducation, elle, c’est-à-dire qu’elle a des principes et de la conversation, à défaut d’avoir une pensée originale. Après une courte passion, les différences vont peu à peu apparaître, lentement, sournoisement, dramatiquement : Félix se contente de « vivre à la colle », mais la belle-famille pousse au mariage, forcément, ça compte, les apparences, pour les « gens bien »... Félix s’emmerde à l’Opéra où on l’emmène, et il le dit vertement : scandale dans la famille devant cette inculture et surtout ce refus de « faire des efforts »... Mais doit-on faire des efforts ou être soi-même ? Telle est la question posée ici de manière tacite... Félix se rend compte du malaise qu’il provoque, mais en même temps ressent tout le mépris dont il est l’objet. Il se rend compte également que la prétendue culture de sa belle-famille et de Paulette n’est en réalité qu’un vernis superficiel tartiné d’un peu de bla-bla trouvé dans les journaux et les critiques, et qu’on répète, comme un prêt-à-penser, sans réfléchir. Au fond, ces gens cultivés sont sans culture, ils ont juste des mots qui en tiennent lieu. Mais Félix ne sait pas leur répondre, et ne parvient pas à s’expliquer devant Paulette. Félix n’a pas les mots. Ou pas ceux qu’il faudrait. Il a toujours tort et on le lui fait bien sentir. Alors un jour, au bout du désespoir, il cogne. C’est son langage à lui. Les coups s’abattent sur Paulette. Excessifs, mais aussi douloureux pour Félix qui les donne que pour Paulette qui les prend. Dès lors, jour après jour, le couple désemparé s’enfonce dans le drame. Et il apparaît que les coups, pas plus que les mots vides de sens, ne parviennent à établir un dialogue... Pourtant, l’amour est encore là, parfois, entre les lézardes d’un amour qui s’effondre... Terrible histoire de deux êtres que tout rapproche et que tout sépare dans le même temps, le tout implacablement raconté par un écrivain rigoureux dans sa maîtrise du récit, et dont l’écriture, à l’opposé de l’académisme, est volontairement relâchée et populaire, à l’image de Félix. Excellent roman, mais attention, c’est tout sauf de l’eau de rose ! Une histoire douloureuse, tristement humaine. A lire absolument.
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