Par Robertcri
Les matins d'été, bien après l'aube, quand le soleil s'insinuait entre les fentes des volets, j'entendais de ma chambre le gazouillis incessant et joyeux des oiseaux. Tous ces petits passereaux, éperdus de soleil, ivres de lumière, lançaient des trilles vers le ciel, et s'ébattaient avec des frôlements d'ailes furtifs, comme des étoffes froissées. A peine levé, j'allais à la fenêtre, ouvrant en grand les persiennes ; aussitôt l'été pénétrait dans la chambre en chaudes brassées de lumière blonde... Et dehors, dans le jardin je voyais alors la belle armée des glaïeuls, défilant à mes pieds en une troupe serrée ; leurs feuilles, minces et effilées en forme de glaives leur avaient donné leur nom : "glaïeul"... Les glaïeuls partaient à l'assaut de l'été... Sur toute la longueur de la hampe s'ouvraient des fleurs en une grappe abondante aux douces couleurs. Impavides dans l'aube estivale, les glaïeuls m'offraient leurs teintes satinées : des rouges soutenus et chaleureux et des roses nacrés, dont certains avaient des reflets caressants de tendre incarnat ou le velouté d'un velours princier. Tous chantaient la lumière de l'été et la joie des jours sans école... Fiers et nobles fantassins, les glaïeuls cependant n'étaient pas toujours vainqueurs, et parfois l'été leur livrait de terribles batailles ; il en était ainsi les jours d'orage. Après le grondement du tonnerre et l'éclat déchirant des éclairs, de lourdes gouttes de pluie s'abattaient soudain, brutalement, et le ciel assombri déversait au jardin des trombes d'eau, dans le fracas d'un brutal déluge. Et quand enfin le soleil revenait, faisant naître parfois un bel arc-en-ciel entre les nuages enfuis, on pouvait mesurer la défaîte : les glaïeuls étaient couchés, glaives vaincus par la pluie de l'été et les rafales du vent. Il fallait alors évacuer les blessés ; il n'y avait plus qu'à trier ce champ de bataille qu'était devenu le jardin après l'orage. Et tandis que les survivants, encore debout, séchaient au soleil, ceux que l'orage avait abattus étaient tranchés au ras du sol et finissaient sur la table de la salle à manger, où ils formaient une haute et belle gerbe... Les glaïeuls s'offraient ainsi, avant de disparaître, une ultime heure de gloire, un baroud d'honneur en un bouquet flamboyant et majestueux, fièrement dressé dans un vase de cristal posé sur la toile cirée ; et puis, quelques jours plus tard, ils mouraient enfin, mais dans l'honneur : debout et fleuris !
Thème Magazine © - Hébergé par Eklablog