Par Robertcri
Le Capitaine Fracasse – roman de Théophile Gautier (1863)
Du temps de ma folle jeunesse écolière, à l’école Robespierre d’Ivry, il y avait au fond de la classe une armoire en chêne foncé, dont les portes vitrées étaient doublées par des rideaux froncés vert clair. C’était la bibliothèque. Une fois par semaine, le samedi, la maîtresse ouvrait le meuble, fermé à clef le reste du temps. Dans ses flancs (ceux du meuble, pas ceux de la maîtresse), il y avait les livres que nous pouvions emprunter pour les lire à la maison. Ils étaient d’un aspect triste et monotone, alignés sur les planches et tous uniformément recouverts d’un papier bleu terne. Il sortait de cette armoire des odeurs mêlées de vieux papier et d’humidité. J’aimais bien l’odeur. Mais pas les livres. Je n’en ai lu aucun ! J’ai toujours eu horreur des livres empruntés. Et j’ai toujours eu horreur qu’on m’impose mes lectures. Parmi les titres, il y avait Le Capitaine Fracasse. Roman que je viens donc seulement de découvrir, à 70 ans ! Disons le tout net : sa lecture est à la fois amusante et chiante. Amusante, car le récit est terriblement vieillot, écrit dans un style ampoulé, et plein d’exploits qui tiennent à la fois du merveilleux, du chevaleresque et du mièvre ! L’histoire du noble désargenté, limite misérable, qui tombe raide amoureux de la belle comédienne sans jamais la baiser, même pas l’embrasser... ça ferait hurler de rire n’importe quel jeune d’aujourd’hui surfant sur facebook et racontant le détail de ses orgasmes dans une émission de téléréalité ! En même temps, la lecture du Capitaine Fracasse est chiante, car le récit est truffé de tonnes de mots surannés et abracadabrantesques qui viennent nous emmerder presque à chaque page. En voici quelques-uns, relevés pour vous : Alabastrine, bolinche, brimborion, carousse, crespelé, dromon, écafignon, élémosinaire, éparvin, étrivières, flamberge, fongosité, gavache, grifaigne, lampassé, marmenteau, miasson, nautonier, obombrer, papelonné, pélauder, quiddidatif, rebindaine, rinceau, scurrilité, sportule, tordion !... Et je ne vous les ai pas mis tous, c’est juste un échantillon, pour vous donner une idée de cette écriture tordue, à cent lieues de la clarté limpide et si moderne d’un Maupassant et même d’un Zola, plus coincé tout de même que Maupassant ! Tant de mots vieillots accumulés ! Et on donnait ça à lire aux mouflets de mon époque !... En plus, le Capitaine Fracasse, c’est long, c’est bourré de détails inutiles, tandis que l’action s’embourbe constamment dans un délayage verbeux très daté ! Mais bon, en même temps, ce genre de romans d’aventures, c’est toute une époque, où l’on n’avait ni radio, ni téléphone ni télévision. Juste des mots pour rêver d’aventures extraordinaires et oublier un quotidien souvent rude. Vu sous cet angle, on peut comprendre... Le soir à la veillée, dans la pénombre de la pièce où rougeoie la cheminée, sous la clarté parcimonieuse d’une lampe à pétrole, Le Capitaine Fracasse, ça peut le faire ! Et finalement, je ne regrette pas de l’avoir lu !
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