MAISON DE LOUIS ARAGON ET ELSA TRIOLET
Balade organisée par le Centre culturel de Vitry
Le 15 mars 2009
Le soleil brille. On quitte Vitry à 9 heures. A 10 heures, nous sommes à Saint-Arnoult-en-Yvelines, au cœur ancien de cette petite ville au sud-ouest de Paris. Courte pause d’une vingtaine de minutes dans la ville, puis le car nous conduit à la sortie de Saint-Arnoult. C’est là, un peu à l'écart, que se trouve le Moulin de Villeneuve, qui fut la résidence secondaire de Louis Aragon et Elsa Triolet, où tous deux vécurent de 1951 à leur mort : 1970 pour Elsa Triolet, 1982 pour Louis Aragon.
Nous sommes accueillis par une chanteuse, Lucienne Beauchamp, le look post-soixante-huitard, une intello fan d’Aragon et qu’on imagine bien à Saint-Germain des Prés chantant aussi Ferrat, Léo Ferré, le genre culture de gauche à fond les manettes. Je me suis demandé par exemple si notre cantatrice aurait interprété avec le même enthousiasme les œuvres de Céline, mais ne nous lançons pas dans un procès d’intention ! Elle interprète fort bien Aragon jusqu’à midi, disant ou chantant aussi des textes d’Elsa Triolet.
A midi, on se retrouve (on est 28 convives) à l’Auberge de l’Etoile, pour le déjeuner. Au menu : Kir et amuse-bouche – Terrine aux champignons – Agneau façon tajine et pommes de terre – Crème au fromage blanc au coulis de framboises – Vin : Côtes de Bourg en carafe – Café –
Après ça, on est prêts pour la visite guidée de la maison… La jeune Ludivine est notre guide. Entrons avec elle dans cette demeure d'écrivains :
La maison de Louis Aragon est un ancien moulin à eau. Louis Aragon l’acheta en 1951, pour offrir à Elsa Triolet « un petit coin de France », elle qui était une exilée russe. Le bâtiment est en forme de L, très long mais pas très haut (un étage). Ce qui est extraordinaire c’est que la maison est restée exactement dans l’état où elle était à la mort de Louis Aragon en 1982. Rien n’a disparu et rien n’a été modifié. Meubles, objets divers, livres, tout est là comme si les écrivains venaient de s’absenter… En fait, après la mort d’Elsa en 1970, (ici même dans sa chambre, après un malaise cardiaque dans le jardin sous les yeux de son mari) Louis Aragon vint moins souvent, et finalement, en 1976, il décida de léguer sa maison à l’Etat avec la volonté d’en faire un lieu de souvenir, un lieu d’étude et un lieu de recherche. Aragon légua aussi les meubles et les livres (environ 30 000). Bref, on a l’impression étrange de visiter une maison habitée ; on a peur de déranger… Dans la cuisine, le vieux réfrigérateur des années 60 est encore là et fonctionne. Tout est à sa place : la table, les chaises, l'évier, les placards. A côté, le bureau d’Aragon, avec une feuille de papier et un stylo sur la table, comme si l’écrivain allait rentrer d’une minute à l’autre et se remettre à écrire… Tout près, le curieux salon aux sombres boiseries, qui jouxte la roue du moulin, laquelle tourne sous le flot incessant de la petite rivière qui passe là. A l’étage, la chambre du couple. Le dessus de lit est bleu. Bleus aussi les murs et certains meubles. Le bleu se retrouve d'ailleurs souvent dans la maison, c’était la couleur préférée d’Elsa. Sur le palier, un meuble presque secret : c’est là qu’Elsa Triolet cachait avec soin sa collection « honteuse » : tous les bouquins de la Série Noire ! Ils sont encore là, bien rangés. Elle les adorait, mais elle les cachait soigneusement aux visiteurs et invités : quand on est la compagne du grand Louis Aragon… ça la fiche mal de montrer qu’on se délecte de polars !!!... Autour de la maison, on fait ensuite une balade dans le beau jardin qui entoure le moulin. C’est plutôt un parc engazonné et boisé de quatre hectares environ. Cà et là, des panneaux en plexiglas reproduisent des phrases, des vers d’Aragon ou d’Elsa… Et puis on escalade une petite butte dans le haut du jardin. C’est là qu’est la tombe où sont inhumés désormais Elsa Triolet et Louis Aragon. Avant de quitter cette propriété riche de souvenirs, lisons l’inscription qui figure sur la pierre tombale :
« Quand côte à côte nous serons enfin gisant, l'alliance de nos livres nous unira pour le meilleur et pour le pire dans cet avenir qui était notre rêve et notre souci majeur à toi et à moi. La mort aidant, on aura peut-être essayé et réussi à nous séparer plus sûrement que la guerre en notre vivant. Les morts sont sans défense. Alors nos livres croisés viendront, voir sur place la main dans la main, s'opposer à ce qu'on nous arrache l'un à l'autre. Elsa. »
La visite est terminée. Nous quittons la demeure, presque sur la pointe des pieds, en ne parlant pas trop fort. Il ne faut pas déranger les hôtes qui dorment ici, unis dans la mort comme ils le furent dans la vie et dans l’écriture...