• On peut, chacun le sait, parler pour ne rien dire... Mais, bien que l'expression n'existe pas, on peut aussi "écrire pour ne rien lire"... Tel est le triste exploit réussi par Michel Mohrt dans ce mini-roman de 88 pages, au mini-sujet, et dont l'intérêt, disons-le d'emblée, est nul. Mais jugez vous-même, je n'invente rien : L'histoire, si tant est qu'on puisse appeler histoire une anecdote bavarde, se passe dans une station de ski prestigieuse : Gstaadt en Suisse... évidemment ! Pas pensable que ça se passe aux Arcs ou à Châtel : ça ferait trop prolo, trop séjour familial avec 30% de remise par le comité d'entreprise ! Donc à Gstaadt, voilà pour le décor. Bien sûr, il y a de la neige blanche et des sapins verts, tout pareils qu'à Châtel, le snobisme en plus. Dans cette station, deux personnes prennent place dans le télésiège qui doit les ramener en bas des pistes. Vous l'avez sans doute deviné, ces deux personnes sont un homme et une femme, et, bien entendu, ils ne se connaissent pas. Et tout naturellement ils vont avoir envie de se connaître : le sexe a ses exigences, toujours les mêmes ! Mais comme on n'est pas chez les chiens, ils ne vont pas se flairer, oh quelle horreur ! Ils vont échanger des fadaises, pleines pourtant de sous-entendus intimes bien sûr, mais en restant dans la bien-pensance convenable ! Pour commencer dans l'anodin, l'homme va  poser à sa compagne de télésiège cette question terriblement fondamentale : "Ces beaux arbres aux branches symétriques, vous connaissez leur nom ?"... Bien entendu, elle n'en sait rien, la gourdasse.  Elle va minauder, et lui, il va lui narrer l'histoire tarabiscotée d'une femme qu'il a connue jadis, quand il donnait des conférences aux USA (eh oui, il n'était pas manutentionnaire chez Castorama, vous pensez bien,  à Gstaadt ! Faut du standing !)... Certes, on ne peut pas dire grand-chose dans un parcours qui dure quinze minutes à peine ! Mais c'est là qu'intervient le génie inventif de l'auteur : le télésiège tombe en panne ! Stupéfiant, non ? Du coup, les deux tourtereaux sont immobilisés dans l'espace, sans pour autant s'être envoyés en l'air, ce qui leur donne un peu plus de temps pour s'épancher et se pencher au-dessus du vide... Mais le vide le plus impressionnant est celui de ce court récit... Je suis sûr que vous avez deviné que le télésiège va finalement repartir !.. Bingo ! vous avez gagné ! Imaginez un instant que la panne se soit prolongée au-delà du raisonnable... Imaginez alors les difficultés pour l'auteur ! ..Impossible de rester comme ça en l'air pendant des jours, ça poserait des problèmes insurmontables de vraisemblance : impossible de rester si longtemps là-haut sans faire pipi par exemple, d'où d'horribles problèmes de promiscuité excrétoire, inimaginables dans un roman sans pourrir l'ambiance romantique ! Et donc le télésiège repart, et arrive sans encombre en bas. Le couple se sépare, et l'homme trouve enfin la réponse à la profonde question existentielle qu'il se posait : "C'est quoi le nom des arbres aux branches symétriques ?" Un quidam à la culture encyclopédique lui donne la réponse : ce sont des arolles ! Evidemment, ça ne pouvait pas être des hêtres ou des bouleaux ! Dans une histoire qui se déroule dans la Suisse nantie, il fallait pour conclure un arbre au nom snob !... Voilà, je vous ai tout dit sur ce navet d'écriture. Vous ne serez donc pas surpris si je vous dis que l'auteur est membre de l'Académie Française !... Si vous trouvez ce bouquin, mettez-le vite dans la cheminée : ses 88 pages sont idéales pour faire prendre le petit bois ! Et devant les flammes qui crépitent, prenez un livre, un autre, un bon  !...


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  • "Flèche d'Orient" est un roman de Paul Morand publié en 1932. L'histoire est  simple : un Russe exilé en France à la suite de la révolution  de 1917, vit à Paris. Il est marié, et bien intégré à son nouveau pays. Si bien intégré qu'il parle parfaitement le français, et a quasiment oublié sa langue d'origine, le russe. Or, un jour, tandis qu'il discute avec des aviateurs, l'un d'eux affirme que désormais un avion permet d'aller à Bucarest en une journée. Dimitri prétend que non ! Il parie ...  Mais il perd son pari. Oui, en ces années trente, un avion permet effectivement ce prodige : faire Paris-Bucarest en une seule journée !... Comme gage, il doit se rendre à Bucarest en avion, et en rapporter une boîte de caviar  frais pour ses amis... Mais arrivé là-bas, il renoue avec la culture slave. Et soudain le banal voyage se transforme en un périple, une véritable retour aux sources pour ce Russe exilé... Une nouvelle vie, insoupçonnée, l'entraîne... Au-delà du thème, celui dela puissance de nos racines, l'écriture, comme toujours chez Paul Morand, a terriblemnt vieilli. En se voulant résolument "moderne", Morand décrit ici le milieu de l'aviation des années trente : Villacoublay...  L'aérodrome de Buc..les moteurs Gnome et Rhône de 230 cv, la TSF, tout ça était terriblement nouveau en 1932... Et c'est terriblement vieillot aujourd'hui...  Mais le livre est court, on ne perd donc pas trop de temps à lire cet écrivain aisé et snob dont le talent tient surtout à son oisiveté friquée !...


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  • Voici un petit ouvrage historique très intéressant. Ce n'est pas une encyclopédie - le livre ne comporte que 64 pages - mais c'est un coup de projecteur passionnant sur un événement dramatique qui nous semble bien lointain, qu'on a appelé la "Grande Jacquerie", cette révolte paysanne qui a eu lieu à la fin du printemps de l'an de grâce 1358. En vérité, on est alors en pleine Guerre de Cent Ans (Eh oui ! Les gens trouvent ça un peu tout de même ! Mettez-vous à leur place !...), et depuis que Jean le Bon a été défait en septembre 1356, la population a le sentiment d'être abandonnée par la noblesse. Les paysans n'en peuvent plus, de toutes les exactions qu'ils subissent. Le lundi 28 mai 1358, une échauffourée éclate entre des soldats et les habitants de Saint-Leu d'Esserent, au nord de Paris. Rapidement, cet incident local gagne du terrain, et c'est une véritable révolte qui se déchaîne en région parisienne et en Picardie. Des seigneurs et des nobles sont massacrés. Des châteaux sont mis à sac et incendiés :  le "coq rouge" - c'est ainsi que les paysans désignent le feu au 14è siècle- dévore les campagnes et les villes..., pire que les bagnoles dans nos banlieues racailles ! A certains égards, on peut dire cette révolte a bien des aspects communs avec la révolution française qui éclatera quatre siècles plus tard... Mais cette révolte paysanne ne mènera à rien ; elle sera réprimée impitoyablement, avec une brutalité barbare. Les nobles vont se venger de leurs pertes et de leur peur, en massacrant par dizaines de milliers les "Jacques".... Un document bien écrit et bien documenté qui nous plonge dans une époque sombre et méconnue... Parmi tous ces paysans qui ont tant souffert, certains d'entre eux sans doute sont nos ancêtres !... Pour trouver ce livre (éditions Le manuscrit), qui vaut 10,90 euros,  le mieux est de le commander sur www.chapitre.com Et notez bien que cette somme n'est en rien une dépense : c'est investissement culturel ! Bonne lecture !


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  • Et si on mêlait tout à la fois l'Histoire, le fait divers, le drame et l'aventure ?... Chiche ?... Alors ouvrons ce livre "Les Fiancées du Cap Ténès". Oui, vous allez me dire que ça ne fait pas très littéraire, ce n'est pas un très bon titre pour le Prix Nobel de littérature ! Certes, j'en conviens, mais la lecture n'exige pas forcément que chaque livre soit primé ! Franchement, je pense qu'on s'ennuierait souvent en lisant uniquement  les bouquins distingués par des jurys composés de vieilles badernes racornies, pédantes et séniles !... "Les Fiancées du Cap Ténès" raconte une bien étrange histoire, qui commence ainsi : Le  23 ventôse an 5 (Je vous laisse chercher dans votre culture personnelle à quelle date exacte ça correspond, le premier qui me répond gagne mon estime, c'est un beau cadeau, ça,  non ?), le 23 ventôse an 5 donc, je le répète, le ministre français des Affaires Extérieures, Talleyrand, reçoit une lettre du citoyen Dubois-Thainville, chargé d'affaires à Alger. Ce courrier dit ceci : "Le vaisseau Le Banel portant 200 marins, 329 militaires et 9 femmes, ayant à son bord des munitions de guerre, s'est perdu le 19 nivôse sur les côtes de Barbarie, à l'ouest du cap Ténès. Les rapports qui me sont parvenus sur cet événement me font frémir.Les habitants des contrées où le naufrage a eu lieu ont employé les moyens les plus barbares pour s'opposer au salut des Français. Ceux qui ont échappé à la fureur de la mer ont été dépouillés, assassinés ou traînés impitoyablement dans les montagnes. Leurs cadavres sont encore étendus sur le rivage et sur la route d'Oran. Cinq femmes, selon les rumeurs, sont aux mains des Cabaïles."...

    Ainsi débute l'extraordinaire aventure de cinq femmes rescapées du naufrage.  Recueillies par leurs ravisseurs, elles sont vendues aux plus offrants des montagnards. Elles comprennent vite qu'elles sont à peu près oubliées de la France et que nul ne viendra jamais les secourir.  Elles vont alors choisir d'accepter leur destin et d'y faire face dans un pays si différent du leur. Une des femmes, naguère blanchisseuse à Toulon, séduira le dey d'Alger. Deux autres se marieront, l'une à un cultivateur, l'autre  au fils d'un émir. L'aristocrate du groupe, Hélène de Courtavray, deviendra la première enseignante française en Algérie. Parmi ces femmes, il y avait aussi une religieuse, Jeanne, elle deviendra guérisseuse et fera partie des sages du village ; son nom est encore vénéré de nos jours en Algérie... C'est cette incroyable épopée que nous raconte l'auteur, l'histoire de ces femmes, naufragées, rescapées puis captives, qui ont fait le choix de la vie et de l'amour coûte que coûte. Mais au-delà, ce livre en apparence modeste, montre comment des civilisations différentes peuvent finalement s'accorder et s'enrichir de leurs différences. Un bon bouquin, un bon moment de lecture pour les soirées qui commencent à être bien fraîches... Et puis, une de mes fidèles lectrices, que j'avais un peu déçue voici quelques jours, sera ravie d'apprendre que je ne dénigre pas systématiquement tous les romans historiques ! Voilà, il fallait que ce fût dit, elle se reconnaîtra !


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  • Petites causes, grands effets, tel pourrait être le sous-titre de ce roman complètement loufoque. Attention, le mot "loufoque" n'est pas ici péjoratif. il est là pour qualifier cette histoire absurde qui tient davantage de la pochade que du roman, mais qui tangente aussi le conte philosophique, un conte entrelardé d'humour hardi. L'histoire est ténue et tient plutôt de l'argument d'une nouvelle que du scénario d'un roman. Je vous explique : Le narrateur mène une vie bien rangée, c'est le cas de le dire, puisque chez lui, depuis  quarante ans, il a soigneusement rangé tous ses papiers dans des boîtes étiquetées. Il est marié à Françoise, et il a un vrai copain : Marko. Le rangement est chez lui une seconde nature, puisqu'il travaille à l'Institut, au département de Paléontologie, où il s'occupe plus spécialement des iguanodons. L'iguanodon, c'est un animal préhistorique, il a disparu vous étiez même pas né, c'est dire !... Or un jour, à l'occasion de sa nomination comme "Directeur de la section Herbivores du Crétacé" (C'est pas chouette, ça, sur une carte de visite ?), on lui demande de fournir une copie de son Baccalauréat ! Hélas,  il s'avère alors qu'il l'a perdu, égaré ! Impossible de retrouver le précieux papier ! On ne dirait pas comme ça, mais c'est fou tout ce qui en découle : déconsidération, licenciement, divorce et puis, d'une manière inattendue, la célébrité.. et le diplôme retrouvé ! Tout le roman est construit autour de ce parchemin : le Baccalauréat, sa valeur, sa perte, sa valeur marchande... mais aussi les rapports humains, les lois et les règlements, l'âpreté au gain, l'amitié... Le tout dans un style truffé d'humour, ça fuse de partout, à chaque page et presque à chaque ligne ! C'est même trop : "too much !", diraient les bo-bos américanophiles post-soixante-huitards... Car l'humour c'est comme un feu d'artifice : il faut des pauses entre les bouquets qui éclatent et explosent ! La lumière éclaire mieux sur fond de nuit... Quand c'est tout le temps, on ne voit plus rien ! C'est le reproche que je ferai ici à "Ipso Facto" : trop d'humour tue l'humour... Les saillies d'écriture finissent par masquer un peu l'histoire : au lieu de se laisser porter par le livre, on guette le prochain jeu de mots ! Le style est par ailleurs un style parlé, presque sans ponctuation. Un dernier point : l'auteur adopte un parti-pris délibérément sexuel dans le roman : chaque fois que le héros rencontre un personnage féminin... crac-crac, ça baise  ! Et attention, pas la moindre barrière morale ! Qu'il saute sa chef du personnel, tous les anciens salariés (dont je suis !) vous confirmeront que c'est de l'ordre du vraisemblable et du possible, et même du souhaitable pour qui veut aller haut dans la hiérarchie ! Mais dans le livre, le narrateur fait la même chose... avec sa mère, concrétisant ainsi le "Nique ta mère !" des banlieues, et même... avec sa belle fille âgée de cinq ans !!! Oui, vous avez bien lu !... Bien plus "hard" que les confidences d'un Frédéric Mitterrand, mais vous remarquerez qu'on n'en parle pas autant ! Eh oui, les hurlements médiatiques moralisants et bien-pensants... c'est selon... c'est à la carte... c'est comme ça arrange ! Je vous laisse méditer et je me tais, car on déborde des strictes limites de la critique littéraire... Mais c'est bien, à partir d'une lecture, d'en profiter pour réfléchir un peu au-delà, c'est du moins mon avis...

    Bio  : Iégor Gran est né en 1964 à Moscou. Arrivé en France en 1974 à l'âge de dix ans,  il apprend le français et  fait l'Ecole Centrale. Il publie son premier roman, Ipso Facto en 1998. Il obtient en 2003 le Grand Prix de l'Humour Noir (ça ne m'étonne pas!) avec ONG, histoire de la lutte terrible que se livrent deux organisations... humanitaires !... il a publié aussi  Acné festival en 1999, Specimen mâle en 2001. Son dernier roman "Thriller" a paru en 2009. Toute son oeuvre est publiée chez P.O.L.


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