• Madame de SEVIGNE

    LETTRE A MADAME DE GRIGNAN<o:p></o:p>

    A la façon de Madame de Sévigné<o:p></o:p>

    Par Robert Lasnier<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Je vous ai mandé, ma bonne, que j’avais tantôt vu l’abbé d’Effiat comme il prenait  en sa poche une cigarette, et que lors, voulant l’allumer, il fut fâché que je l’eusse prié de pétuner en d’autres lieux qu’auprès de moi. Pourtant, vous le savez, je ne suis point une bégueule et je ne m’effarouche point des choses les plus rudes. Je puis même vous confier en secret que Monsieur de Bertiney, que vous vîtes l’autre tantôt je crois, et qui est un grand fumeur, me pria plus d’une fois pour une pipe, que je n’eus jamais le dessein de lui accorder, dans la crainte où je suis de devoir en avaler le jus, dont le goût, fort âcre dit-on, me soulève le cœur à sa seule pensée. Le tabac n’est point de ma coterie. Il court en effet de bien étranges bruits à la Cour sur l’herbe à Nicot, dont l’usage est fort répandu depuis qu’elle est arrivée des contrées des Indes  où la cultivent, m’a-t-on-dit, des peuples de sauvages qui vivent sur des terres inconnues de nous. Il paraît qu’ils mâchent les feuilles et qu’ensuite ils vont tout de ginguois, comme ces gens qui chez nous s’enivrent de vin et de liqueurs qui les étourdissent fort. Ils en font aussi des sortes de rouleaux de feuilles séchées qu’ils mettent en leur bouche après y avoir bouté le feu, puis aspirent des fumées qu’ils recrachent ensuite. Tel est le tabac, dont on fait si grand cas dans tout le royaume. On dit même, ma chère, que les Bretons en leur province lointaine, en prennent dès le lever du soleil,  et qu’ils accompagnent leur fumée avec ce vin fait de pommes, fermentées en une sorte de verjus, qu’ils ont accoutumé de boire et qu’on nomme cidre, comme se plaisait à me le rappeler monsieur d’Hauteville chez qui je fus l’autre semaine, et dont je revins fort migraineuse, comme je vous l’ai écrit déjà, je crois. Ne me tenez pas rigueur, je vous prie, si je me répète ; la cause en sont les maux de santé qui me tourmentent depuis quelques saisons et font défaillir parfois ma mémoire par les mille souffrances que j’en éprouve. Le temps ne nous épargne point et chaque année nouvelle alourdit le fardeau malgré toutes les attention que nous mettons au soin de nous-mêmes.  Et je suis fort attristée de devoir vous confesser mes défaillances, surtout celles de mon esprit, car je les trouve bien plus fréquentes, hélas, que je ne le voudrais, malgré les soins extrêmes que je prends à n’en laisser pas trop paraître devant le monde. Le froid nous est bien vif ici depuis quelques jours, et l’encre gèlerait sous ma plume sans la chaleur de l’âtre. Je gage que le ciel vous est plus clément à Grignan. Vous voyez, je ne suis point de bonne humeur, et cette fumée du tabac me met un poignard dans le cœur. Laissez-moi aussi vous conter que je viens d’avoir une discussion fort sérieuse avec la fille du très bon monsieur de Coulanges. Me croirez-vous, elle m’a dit, répétant en cela les propos de son docte père, que le tabac était cause que beaucoup qui  l’avaient inhalé en était malades, quoiqu’ils eussent parfois à peine vingt ans et sont dans l’âge de la pleine force. La nouvelle est si incroyable, si affligeante aussi, ma chère enfant, que mes sens étonnés en ont d’abord douté. Mais j’en reçus derechef  l’assurance par d’autres grands esprits de la cour, qui le tenaient de la bouche même de Monsieur frère du roi. J’appris ainsi que certains de ceux qui pétunaient en devenaient si esclaves en la soumission, qu’ils ne  pouvaient plus dès lors se démettre du tabac, lors même qu’ils toussaient beaucoup et crachaient, et que la santé ne leur revenait qu’avec l’étrange médecine que nos docteurs nomment des « patchs ». Vous conviendrez avec moi que ce mot est fort laid, mais c’est un mot des temps nouveaux, ma chère enfant, et il nous y faut accoutumer de bon cœur, comme je m’accoutume au mot « tabac » à défaut de m’accommoder à la fumée. Vous ne doutez point, qu’ainsi avisée, je me garderai bien de fumer à mon tour, quelque recommandation que m’en pourront faire certains qui se targuent de la dernière mode ! Car je ne veux point céder à une tendance dont les effets sont si néfastes pour le corps et pour l’esprit, lequel n’est point fait pour être enfumé. Si j’ai sur vous un pouvoir plus grand que la simple amitié, je compte que vous accepterez mon humble conseil : ne fumez point non plus de ce tabac, ma bonne, et croyez m’en : il n’est nul besoin de faire de la fumée pour se trouver en bonne compagnie. Je vous dis adieu, ma chère enfant. Je compte venir auprès de vous quand les rigueurs de l’hiver auront cessé et ôté la neige de nos chemins. Je vous donne toute mon affection. Faites bien des amitiés au comte, à monsieur de Pomponne et à ce bel abbé qui sait si fort à propos me séduire !<o:p></o:p>


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :