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    Il y a un peu plus de trois cents ans mourait Bossuet, le 12 avril 1704. Que sait-on encore aujourd’hui de Bossuet, dont tout le monde ou à peu près connaît le nom, tandis que d’autres, un peu plus cultivés, connaissent aussi le surnom qui lui est resté : « L’Aigle de Meaux » ? Il fut en effet nommé évêque de cette ville en 1681… et surnommé « l’aigle » car comme l’oiseau il pouvait s’élever très haut par son éloquence ; et de même, il pouvait également, comme l’aigle, fondre brutalement sur sa proie, car il était un redoutable polémiste… Mais Bossuet fut beaucoup plus que cela : Evêque certes, mais aussi théologien, polémiste, prédicateur, précepteur du Dauphin, historien, orateur, grand écrivain, membre de l’Académie Française… Certes, beaucoup des écrits de Bossuet sont aujourd’hui pratiquement illisibles pour nos contemporains, sauf pour des chercheurs ou des étudiants ; il demeure pourtant des œuvres qu’on peut, et qu’on devrait lire encore avec profit, notamment :
    -        Les Sermons
    -        Les Oraisons funèbres
     En effet, on trouve dans ces textes tout ce qui fait l’éloquence de Bossuet, à savoir un art extraordinaire du discours de circonstance, maniant la persuasion, la grandeur et la gravité du style, souvent aussi la poésie et l’image forte… Il y a même un paradoxe, à savoir que Bossuet détestait le genre de l’oraison funèbre ; en effet, il s’agit de dire du bien de celui qui vient de mourir ; or souvent, que peut-on dire de bien, au sujet de certains grands personnages dont la vie n’a été qu’une longue suite de dépravations ?!!! Bossuet contourne cette difficulté de la façon suivante : il fait de ses oraisons funèbres des sermons, le nom du défunt n’étant qu’un prétexte, une sorte de toile de fond pour accompagner en fait un sermon.
    Par ailleurs, la mort est, évidemment, un de ses thèmes de prédilection. C’est même le thème central du Sermon sur la mort  :
     
    «  C’est une étrange faiblesse de l’esprit que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés et de mille formes diverses. On n’entend dans les funérailles que des mots d’étonnement de ce que ce mortel est mort. Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui a parlé, et de quoi le défunt l’a entretenu ; et tout d’un coup il est mort. Voilà, dit-on, ce que c’est que l’homme ! »
     
    Citons également l’oraison funèbre de Henriette d’Angleterre, (août 1670) ; comme je le disais tout à l’heure, dans cette oraison, Bossuet, au-delà de la défunte Henriette d’Angleterre, prononce en réalité, une fois encore, un sermon sur la mort :
     
    «  Ô nuit désastreuse, ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte ! Quoi donc ! Elle devait périr si tôt ! Dans la plupart des hommes, les changements se font peu à peu, et la mort les prépare ordinairement à son dernier coup. Madame cependant a passé du matin au soir, ainsi que l’herbe des champs… Nous mourons tous ; nous allons sans cesse au tombeau, ainsi que des eaux qui se perdent sans retour. En effet, nous ressemblons tous à des eaux courantes. De quelque superbe distinction que les hommes se flattent, ils ont tous une même origine, et cette origine est petite. Leurs années se poussent successivement comme des flots ; ils ne cessent de s’écouler ; tant qu’enfin, après avoir fait un peu plus de bruit et traversé un peu plus de pays les uns que les autres, ils vont tous ensemble se confondre dans un abîme où l’on ne reconnaît plus ni princes, ni rois, ni toutes les autres qualités superbes qui distinguent les hommes ; de même que ces fleuves tant vantés demeurent sans nom et sans gloire, mêlés dans l’Océan avec les rivières les plus inconnues. »
     
    Il faut bien voir aussi que, tout au long de sa vie, Bossuet va se trouver, très souvent « assis entre deux chaises » : c’est en effet un ecclésiastique plongé dans un monde inégalitaire, c’est une époque marquée par des guerres, des émeutes, des famines, des passions religieuses ; et Bossuet se trouve pris sans cesse entre des intérêts contradictoires : le roi, et le pape : comment plaire à l’un sans déplaire à l’autre… Il y a dans les discours de Bossuet aussi une certaine violence dans le ton et l’expression, et on peut se demander si cette violence est le reflet d’une certaine violence de Bossuet lui-même, ou si elle est seulement un effet oratoire, une accentuation du discours destinée à marquer ceux qui écoutent les sermons avec plus ou moins d’attention…
    Bossuet est né en 1627 à Dijon. Il est issu d’une famille de parlementaires dont les origines sont pourtant modestes ; son grand-père était artisan charron, et fabriquait des roues ; du reste, trois roues figurent dans les armes de Bossuet, pour rappeler cette origine artisanale. Son père était Conseiller au Parlement ; il a également un oncle financier, possédant une grande fortune. Dans son enfance, Bossuet est marqué par les nombreuses insurrections qui éclatent, en particulier à cause de la lourdeur des impôts : il faut savoir que sous l’impulsion de Richelieu, le roi (Louis XIII jusqu’en 1643) mène des guerres coûteuses, et qu’il lève sans cesse de nouveaux impôts. Et de cette époque de troubles, Bossuet gardera toute sa vie une horreur des émotions populaires et un goût prononcé pour l’ordre… Bossuet fait de bonnes études, d’abord chez les Jésuites au Collège des Goudrans, à Dijon. Il reçoit la tonsure en 1635 ; il a alors huit ans, et on le destine à la carrière ecclésiastique. C’était souvent le sort des cadets ; l’aîné reprenait la charge du père, tandis que les cadets, pour s’élever dans la société, devaient s’orienter vers la carrière religieuse, ou encore la carrière militaire. Après les études à Dijon, Bossuet devient chanoine de Metz, puis poursuit ses études à Paris où il fréquente le Collège de Navarre, qu’on pourrait qualifier à la fois de célèbre et de passable : il rassemblait en effet les plus grands par la naissance ou les fonctions, mais l’enseignement dispensé y était particulièrement fastidieux… En 1652, il est ordonné prêtre à 25 ans, après une retraite dirigée par Vincent de Paul, puis est reçu Docteur en théologie. Bossuet est nommé alors grand archidiacre de Metz. C’est un poste intéressant, mais c’est aussi un poste de combat, car la ville compte un tiers de Protestants, avec aussi beaucoup de juifs ; et il ne faut pas oublier que, après les guerres de religion, on vit encore dans un climat de conflits permanents entre protestants et catholiques. Il faut noter qu’à cette époque, en raison même des passions religieuses, la formation des prêtres est faite également dans l’esprit de polémiquer avec les protestants. Et Bossuet, justement, va pouvoir, à Metz, se montrer un polémiste remarquable. Il avait des talents d’orateur depuis toujours, prononçant son premier sermon à l’âge de seize ans. Il va trouver aussi, à Metz, son adversaire, le pasteur Paul Ferry. Par ailleurs il s’intègre à la « Confrérie du Saint-Sacrement » qui est une société occulte qui avait aussi intégré Saint-Vincent de Paul, que Bossuet a d’ailleurs rencontré. A ce propos, on a voulu voir dans Vincent de Paul une sorte d’Abbé Pierre du 17è siècle ; ce n’était pas tout à fait le cas ; au sein de la Confrérie du Saint-Sacrement, l’objectif premier de Vincent de Paul était en premier lieu de convertir les pauvres, avant de les secourir…
     
    Remarqué par Anne d’Autriche, Bossuet prêche à la chapelle Saint-Thomas du Louvre, devant la Cour, dans le cadre du Carême du Louvre. On est surpris parfois par les propos tenus par Bossuet sur l’égalité des hommes ; c’est le cas par exemple de l’ode funèbre de Henri de Gornay, prononcée en 1658 :
     
    « Quoique Dieu et la nature aient fait les hommes égaux, en les formant d’une même boue, la vanité humaine ne peut souffrir cette égalité, ni s’accommoder de la loi qui nous a été imposée de les regarder tous comme nos semblables. De là naissent ces grands efforts que nous faisons tous pour nous séparer du commun, et nous mettre en un rang plus haut par les charges ou par les emplois, par le crédit ou par les richesses. Que si nous pouvons obtenir ces avantages extérieurs, que la folle ambition des hommes a mis à un si grand prix, notre cœur s’enfle tellement, que nous regardons   tous les autres comme étant d’un ordre inférieur à nous ; et à peine nous reste-t-il quelque souvenir de ce qui nous est commun avec eux. Considérons avec attention les trois états où nous passons tous successivement : la naissance, le cours de la vie, sa conclusion par la mort. Plus je remarque de près la condition de ces trois états, plus mon esprit se sent convaincu que, quelque apparente inégalité que la fortune ait mise en nous, la nature n’a pas voulu qu’il y eût grande différence d’un homme à l’autre… Enfin, après tout arrive la mort, qui, foulant aux pieds l’arrogance humaine, et abattant sans ressources toutes ces grandeurs imaginaires, égale pour jamais toutes les conditions différentes, par lesquelles les ambitieux croyaient s’être mis au-dessus des autres. »
     
     Ce texte est remarquable, car il est étonnant de trouver alors un discours égalitaire, surtout en un siècle, le 17è, où l’inégalité est une véritable institution : il y a le Roi, au-dessus de tous, de droit divin, puis les nobles, avec là encore toute une hiérarchies très stricte dans les privilèges, et enfin, le clergé et le peuple… On a coutume de dater l’apparition de la notion d’égalité de la Révolution Française et de la fameuse « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789 ; et on s’attendrait plutôt à trouver de tels propos chez Rousseau ; or il est intéressant de noter qu’en fait cette notion d’égalité a des sources plus anciennes, et qu’elle est rattachée, comme chez Bossuet, à des valeurs de la chrétienté.
    Par ailleurs, Bossuet ose souvent critiquer la conduite du roi. En fait, il a fort à faire ! Le roi Louis XIV mène une vie particulièrement dissipée. En particulier, il s’éprend de sa belle-sœur, Henriette d’Angleterre, une femme brillante, épouse de Philippe d’Orléans ; pour éviter ça, on jette dans son lit la Lavallière ; et en 1665, Bossuet prononce un sermon dans lequel il est question des mœurs de Louis XIV.
    Il écrit :
     
    «  C’est là que naissent les péchés régnants, qui ne se contentent pas qu’on les souffre, ni même qu’on les excuse, mais qui veulent encore qu’on les applaudisse ».
     
    Le roi ne pouvait que se reconnaître dans cette expression de « péchés régnants », mais ne se fâche pas ; toutefois il marque sa désapprobation, et n’honore plus Bossuet de sa présence pendant les sermons de la chapelle Saint-Thomas du Louvre.
    Mais jamais il n’y aura de brouille entre Bossuet et Louis XIV ; d’ailleurs, Bossuet se fait un champion du Gallicanisme, c’est à dire une sorte de catholicisme à la française, qui donne au roi une place éminente, avec une certaine indépendance vis-à-vis du pape et de Rome.
    En 1670, tandis que le roi s’est détaché de la Lavallière pour Mme de Montespan, Bossuet semble s’adresser de plus en plus directement à Mme de La Vallière :
     
    « Si vous regardez la nature des passions auxquelles vous abandonnez votre cœur, vous comprendrez aisément qu’elles peuvent devenir un supplice intolérable… Elles sont toutes elles-mêmes des dégoûts, des amertumes… »
     Et aussi :
    «  Une partie de votre mal consiste dans un certain étourdissement que le bruit du monde vous a causé et dont votre tête est toute ébranlée : il faut vous mettre à l’écart, il faut vous donner du repos… »
    C’est l’époque où Mme de la Vallière fait sa première fugue chez les Carmélites d’Auteuil ; et plus tard, c’est Bossuet qui va la convaincre d’entrer dans les ordres, ce qui aurait pu déplaire au roi, même si alors il était avec la Montespan !…
     
    Dans un autre sermon très connu, le « Sermon du Mauvais Riche », Bossuet, s’adressant à Dieu, s’en prend aux grands :
     
    «  Vous les avez faits grands pour servir de pères à vos pauvres. Votre providence a pris soin de détourner les maux de dessus leurs têtes, afin qu’ils pensent à ceux du prochain. Vous les avez mis à leur aise et en liberté afin qu’ils fassent leur affaire du soulagement de vos enfants ; et la grandeur, au contraire, les rend dédaigneux ; leur abondance, secs ; leur félicité, insensibles. Je ne m’en étonne pas : d’autres pauvres, plus pressants et plus affamés ont gagné les avenues les plus proches : je parle de ces pauvres intérieurs qui ne cessent de murmurer, quelque soin que l’on prenne de les satisfaire, toujours avides, toujours affamés dans la profusion et dans l’excès même, je veux dire nos passions et nos convoitises. L’aise, la joie, l’abondance remplissent l’âme de telle sorte qu’elles en éloignent tout sentiment de la misère des autres. C’est pourquoi ils meurent de faim dans vos terres, dans vos châteaux, dans les villes, dans les campagnes, à la porte et aux environs de vos hôtels ; nul ne court à leur aide. Dans les provinces éloignées et même dans cette ville, au milieu de tant de plaisirs et de tant d’excès, une infinité de familles meurt de faim et de désespoir ».
    En 1665, Bossuet connaît quelques moments difficiles ; en effet Anne d’Autriche (épouse de Louis XIII) meurt, et Bossuet perd en elle son soutien actif et celui du « Parti des dévots ». Malgré tout il est nommé en 1669 évêque de Condom, petite ville du sud-ouest. Mais surtout, l’année suivante, en 1670, il est nommé précepteur du Dauphin ; à ce titre il est à la tête de toute une équipe, et Louis XIV lui confie la charge de l’éducation de son fils Louis ; ce sera même une lourde charge, dans la mesure où le dauphin se révèle un parfait imbécile, et ne s’intéresse à rien, seulement préoccupé de chasse et de danse ; il est, selon une expression de Saint-Simon « Enfoncé dans sa graisse et ses ténèbres. »  C’est un vrai crétin ! Bossuet, toujours dévoué au roi, va pourtant se consacrer pendant dix ans à ces fonctions ; elles seront pour lui l’occasion d’un travail intense : d’abord, Bossuet va devenir un véritable expert en matière d’étude des écritures saintes. En outre, il rédige divers ouvrages destinés à l’éducation du dauphin : « Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même », «  Traité du libre-arbitre » ainsi que son « Discours sur l’Histoire Universelle » où il expose sa conception de l’histoire, inspirée par la Divine Providence.
     Bossuet cesse ses fonctions de précepteur en 1680, au mariage du Dauphin. La pédagogie de Bossuet n’a sans doute pas été fameuse, et on ne le saura jamais puisque le dauphin mourra et ne régnera jamais.
    Sur le plan philosophique, Bossuet se situe parmi les cartésiens ; cela peut surprendre, alors que l’on voit la plupart du temps en Descartes, une sorte de prophète du matérialisme, par son côté scientifique, logique, rigoureux. Il demeure que Descartes est avant tout un philosophe chrétien, écrivant, dans son œuvre, un certain nombre de preuves de l’existence de Dieu. Et Bossuet se montre cartésien en ce qu’il s’efforce toujours d’étayer la religion chrétienne par des raisonnements logiques, et en montrant et affirmant le caractère rationnel du monde, au-delà des apparences parfois désordonnées qu’il présente, cette rationalité étant pour lui d’essence divine. Et on peut dire, d’ailleurs, que Bossuet fut un des derniers représentants d’une démarche rationnelle dans l’Eglise…
    En 1671, il entre à l’Académie française, mais il faut remarquer que son origine modeste l’empêche d’accéder aux plus hautes fonctions : en particulier il ne sera jamais cardinal en dépit de son talent ; de très nombreuses oppositions se manifestent en effet contre lui, de la part de nobles de la haute aristocratie.
    Il faut noter également que tout au long de sa carrière, Bossuet a réalisé des conversions, s’efforçant de ramener dans l’Eglise les protestants. Toutefois, il faut dire un mot de son attitude envers les protestants :
    En effet, bien que redoutable polémiste et grand orateur, Bossuet n’était ni un extrémiste ni un fanatique ; dans le climat de passions religieuses déchaînées de l’époque, il est favorable au dialogue, pratique volontiers une attitude de main tendue et d’entente, au-delà des différences et des différends. Il y a été habitué en fait par sa position toujours délicate, entre par exemple les intérêts du roi, et ceux du pape, souvent contradictoires, et qu’il lui fallait également ménager et concilier…
    Un autre combat mené par Bossuet fut ce lui qu’on appelle  « La controverse sur l’interprétation des écritures ». En effet un Oratorien très instruit, Richard Simon, avait étudié le latin, le grec et l’hébreu, en vue d’étudier les textes de la Bible dans les différentes versions ; et il avait écrit un livre intitulé « Histoire critique de l’Ancien Testament », dans lequel il avait démontré en particulier que les cinq premiers livres de la Bible, qu’on appelle le « Pentateuque » et qui constituent la Bible des juifs, n’avait pas pu être écrite par Moïse lui-même comme on le disait ; en effet, un passage du Pentateuque évoque la mort de Moïse, et ne peut donc avoir été écrit par lui ! Or, Bossuet intervient et fait interdire le livre de Richard Simon. Cette attitude est révélatrice : elle nous montre un Bossuet très figé, et violemment hostile à toute remise en question des croyances ; en fait, Bossuet comprend une chose : toute controverse sur les écritures entraîne une perte du sacré. En un sens, il a raison bien sûr, et le dix-huitième siècle va accentuer le déclin du religieux, mais Bossuet n’a peut-être pas raison de faire interdire les études ; en effet, il laisse dans ce cas le champ libre à d’autres, les protestants notamment, qui peuvent entreprendre à leur tour d’autres études, au détriment de la pensée catholique. Ce qui fait qu’on a pu dire dans cette affaire que Bossuet élevait des digues de sable contre la marée montante !… Mais pour comprendre Bossuet, il faut se rappeler qu’il a été marqué dans son enfance par les émeutes dues aux impôts et aux famines, et il en a conçu une véritable haine des émotions populaires, il aime l’ordre et répugne à tout changement qui risque, selon lui, d’entraîner des troubles ou des désordres… Il ne faut jamais oublier, pour comprendre un personnage, de revenir à certains événements de sa vie, et notamment de son enfance ; car ces événements orientent souvent, durablement, une action, une pensée ou une attitude générale…
    En 1679, Bossuet est nommé évêque de Meaux, fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1704, après avoir été nommé entre temps Conseiller d’Etat en 1698.
    Un de ses derniers combats fut celui qui l’opposa à Fénelon, évêque de Cambrai, à propos du Quiétisme. C’est d’autant plus étonnant que c’est Bossuet lui-même qui nomma Fénelon évêque. Quant au Quiétisme, il s’agissait d’une doctrine inspirée par Miguel Molinos, théologien espagnol (1628-1696), selon laquelle l’âme humaine pouvait éprouver l’extase sans péché dès lors qu’elle s’abandonnait complètement et passivement à Dieu… et Bossuet dénonçait en particulier le mysticisme d’une madame Guyot, dont les extases (spirituelles !) étaient bien proches d’un orgasme bien physique !…
    Notons au passage que Bossuet a montré toute sa vie, dans ses écrits en tout cas, une véritable hantise de la sexualité, perçue comme le Mal absolu. On lui a cherché des aventures féminines ; à cet égard, on sait qu’il a entretenu des correspondances, soit avec certaines abbesses, soit avec de jeunes femmes dont il était le confesseur : on note en tout cas le ton très tendre de ces lettres…
    Le combat acharné que livra Bossuet contre Fénelon est un peu regrettable ; il se déroula en effet dans un climat de fin de règne, où Louis XIV est perçu de plus en plus, et même par les nobles, comme un despote sénile, face à la montée des sciences et des Lumières ; et le combat de deux évêques ne pouvait que déchaîner l’ironie des sceptiques !…
     
    Bossuet est malade en 1703 et apprend de ses médecins qu’il a la « maladie de la pierre » : on appelle ainsi, alors, les calculs rénaux. Il meurt l’année suivante, le 12 avril 1704, à Paris.
     
    Conclusion : Laissons, pour finir, la parole à Chateaubriand, qui, dans le Génie du Christianisme, dit que Bossuet fut le premier des Romantiques, par sa capacité à s’isoler du monde, pour méditer, pour penser… Il reste enfin que, au-delà des aspects théologiques, Bossuet reste un grand écrivain, capable de tous les effets de style, capable souvent d’effets poétiques qu’il place dans ses textes les plus graves ; en voici un exemple, dans cette évocation de la clémence, où il écrit :
    «  La clémence est autant agréable aux hommes qu’une pluie qui vient le soir ou dans l’automne, tempérer la chaleur du jour ou celle d’une saison brûlante, et humecter la terre que l’ardeur du soleil a desséchée. »
     
    Terminons enfin par quelques pensées diverses de Bossuet, encore d’actualité et qui peuvent être méditées :
     
    -        Nous nous plaignons de notre ignorance, mais c’est elle qui fait presque tout le bien du monde ; ne prévoir pas, fait que nous nous engageons.
     
    -        La guerre est une chose si horrible que je m’étonne que le nom seul n’en donne pas horreur.
     
    -        La santé dépend plus des précautions que des médecins.
     
    -        Le plus grand dérèglement de l’esprit est de croire les choses parce qu’on voudrait qu’elles soient, et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet.
     
    -        La sagesse humaine apprend beaucoup quand elle apprend à se taire.
     
    -        Le bonheur humain est composé de tant de pièces qu’il en manque toujours.
     
    -        On ne peut se rendre maître des choses en les possédant toutes ; il faut s’en rendre maître en les méprisant toutes.
     
    Après ce long article, il ne vous reste plus qu’à vous rendre dans une bibliothèque municipale, et à vous installer dans un coin, pour lire dans le silence les Oraisons Funèbres de Bossuet et ses Sermons…Mais non, vous ne le regretterez pas ! On n’est pas obligé de tout lire !...
     

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    La quatrième de couverture est peu engageante : elle nous rappelle qu’en juin 1940, des centaines de milliers de vaincus s’acheminèrent vers les stalags en Allemagne…Georges Hyvernaud, l’auteur,  instituteur charentais, fut l’un de ces prisonniers de guerre comme il y en eut tant pendant la deuxième guerre mondiale… Humiliation, promiscuité, témoignage, les mots-clefs sont tous là, qui d’habitude me font fuir… Je supporte mal les témoignages : je me dis souvent que plus c’est vécu, moins c’est vrai… Je me suis dit : Encore un livre, un de plus, sur la guerre, sur les prisonniers ! En plus, rien de très excitant : un stalag n’a pas la puissance dramatique d’un camp de déporté…. Mais bon, j’ai tout de même ouvert le livre, peut-être en mémoire de mon père, qui fut lui aussi prisonnier en Allemagne, et s’en évada en 1942… J’ai ouvert le livre donc… et j’ai été immédiatement subjugué par Hyvernaud… Par le style d’abord : des phrases simples et claires, avec des mots précis, concrets, qui s’enchaînent dans un texte qu’on lit avec une grande facilité… Et puis surtout, Hyvernaud réussit là où échouent souvent les témoignages : il ne se limite pas aux souffrances qu’il a éprouvées pendant ses cinq années de détention, il les dépasse, les transcende, leur donne une signification, les installe dans une dimension historique, politique, humaniste et philosophique… Le témoignage, l’expérience personnelle, le vécu, ne sont pas ici le but narcissique de l’oeuvre , mais un point de départ pour atteindre à l’universel et donc à la littérature dans ce qu’elle a de plus grand…. Répétons-le enfin, tout cela est écrit sans pédantisme, sans nombrilisme et se lit d’un trait… Terminons en précisant que lire ce livre, c’est réparer une cruelle injustice :  La peau et les os  n’a eu aucun succès lors de sa parution en 1949, malgré le soutien de Sartre, de Martin du Gard et de Cendrars… Peut-être était-on trop proche de la fin de la guerre… Georges Hyvernaud  fut presque totalement oublié. Lorsqu’il mourut,  le 24 mars 1983, un seul critique, Jean José Marchand, évoqua sa disparition.
    Lisez La peau et les os, vous ne le regretterez pas, et il ne vous en coûtera que quelques euros chez Pocket : un tout petit prix pour un très grand livre. Un livre sur la guerre ? Non ! Un livre sur la condition humaine.
    Quelques extraits :
    "ça n'a pas de sens, le sens de la vie. Je ne veux pas tricher. Je ne veux pas expliquer. J'ai fait ça toute ma vie. J'en ai assez. Je ne veux plus me défendre devant cette évidence déchirante de l'absurdité. On a construit aussi des philosophies là-dessus. Je sais. Mais j'en ai assez des philosophies. L'absurdité ça ne se démontre pas, ça ne se raisonne pas, ça ne sert pas à faire des conférences pi des articles de revue. On l'éprouve dans tout son être."
    "Un corps de pauvre c'est comme une chemise de pauvre. Ca trouve toujours un lambeau de force pour la tâche immédiate. Après, on verra. On ne pense même pas à ce qui viendra après. Bon pour les riches, les projets."
    " L'énergie spirituelle, c'est des choses qu'on met dans les livres. Ca n'existe pas. Ici dans les cabinets, au milieu de ces types déculottés... Ce qui les soutient, on ne sait pas trop ce que c'est. Sans doute cette obstination à durer, ce tenace attachement, cet accrochement des vivants à la vie qui empêche les syphilitiques, les tuberculeux et les cancéreux de se foutre à la rivière. Mais sûrement pas l'énergie spirituelle. !"
     

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  • Littérature ! Le mot est lâché, qui inspire d'emblée, comme un réflexe conditionné,  un vague respect mêlé de crainte révérencieuse... La littérature, ça évoque le Lagarde et Michard de nos études lycéennes, et la vénération d'un professeur agrégé pour Victor Hugo, Chateaubriand ou Racine, voire un Malherbe ou un Pétrarque que l'on hisse dans un Panthéon où nul ne va jamais, le comble de la littérature étant que plus elle est grande, moins elle est lue !... François Bégaudeau réagit contre les idées toutes faites sur la littérature ! Au fond, la littérature est-elle aussi sacrée qu'on veut nous le faire croire ? Et dans la mare des convenances culturelles, Bégaudeau lance des pavés dérangeants, avec une insolence de bon aloi et une intelligence étincelante ! Se déroulent sous nos yeux la kyrielle des chapitres, j'en cite quelques-uns seulement :

    - Quand est-ce de la littérature ?

    - La littérature n'a pas de style...

    - Qu'est-ce qu'un écrivain ?

    - Faut-il être malheureux pour écrire ?

    - La littérature va-t-elle disparaître ?

    A toutes ces questions Bégaudeau apporte des réponses brillantes et impertinentes, et comme dans un manuel de littérature conventionnel, il nous donne à lire des extraits de pages littéraires ! On trouve aussi dans ce livre des considérations très philosophiques sur le littérature, lorsque l'auteur s'interroge sur l'utilité de la littérature... A ceux qui prétendent que la littérature leur est indispensable, il demande ce qu'ils choisiraient s'ils devaient soudain choisir entre se passer de sexe ou de livres !!!... de même, à ceux qui disent que la littérature est utile, il répond, avec une amertume ironique, par cette question : est-ce que l'on boit moins depuis que Zola a écrit l'Assomoir ?...

    Bégaudeau traque également tous ces mots parasites qu'on prononce à propos des livres, et qu'on serait bien incapable de définir : par exemple "le style".... L'antimanuel de littérature est un livre non seulement érudit, mais truffé d'humour, on se marre à toutes les pages ! S'instruire en riant est un merveilleux objectif, et il est atteint ici... En outre, le bouquin est illustré de dessins rigolos, et en particulier d'un chat noir récurrent et toujours désopilant, comme celui-ci :

     

    Quoi qu'il en soit, François Bégaudeau est à la fois prof de lettres, écrivain et journaliste ! Il a donc tous les vices, mais il les met ici au service d'un réel talent en vue de nous offrir une balade récréative au pays incertain, mal connu ou méconnu d'une littérature qu'il repeint aux couleurs d'une modernité qui fait du bien et qui dépoussière le genre ; Lagarde et Michard doivent se retourner dans leur tombe ! Tant pis pour eux ! Tant mieux pour nous !

     

     

     

     

     

     

     


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  • BOB MORANE PROFESSION AVENTURIER est un ouvrage écrit par Rémy Gallart et Francis Saint-Martin ( et publié chez Encrage). Les deux compères se sont attelés, pour analyser le phénomène "Bob Morane". Pour les plus jeunes, rappelons que Bob Morane est un personnage des aventures écrites pour la jeunesse dans les années 60 par Henri Vernes, écrivain belge. Les aventures de Bob Morane étaient publiées régulièrement dans la collection Marabout Junior. Et je me rappelle que, sortant le soir du lycée Charlemagne à Paris, je me précipitais à la librairie du lycée, tenue par "la Mère Liautaud", pour acheter le dernier numéro de Bob Morane !... Toutes ces aventures me "lavaient la tête", après les laborieuses versions latines où je traduisais Salluste, Tite-Live ou Ovide ! Revenons au livre de Gallart et Saint-Martin : disons-le d'emblée, il n'offre pas un intérêt majeur. C'est le type même de l'ouvrage passionnant pour... passionnés.... un manuel pour spécialistes, vous savez... les spécialistes, ces gens qui savent tout.. sur rien, sur un tout petit domaine pointu ! Ici, on a tout de même plus de 275 pages, qui m'ont moins fait vibrer qu'une seule aventure du héros de ma jeunesse ! Certes, les auteurs analysent ici les divers personnages qui apparaissent tout au long des aventures de Bob Morane, à commencer par Bill Ballantine le fidèle compagnon, et tous les autres ; le professeur Clairembart, Sophia Paramount, intrépide jeune femme ( évidemment intrépide ! et évidemment jeune !)... la belle Eurasienne Ylang-Ylang, qui vient à bout de ses ennemis à l'aide de son charme, parfois secondé tout de même d'un calibre 22 !... Mais cette longue glose ne m'a pas passionnée. Les auteurs passent un temps fou en interminables citations, ils se complaisent à relever les propos contradictoires tenus par l'auteur Henri Vernes dans ses différents titres.... Comme si ces contradictions étaient importantes ! Pourquoi ces analyses, ces analyses d'analyses, ces interprétations incessantes des sous-entendus éventuels ? Si ça se trouve, l'auteur Henri Vernes se fout éperdument de ces détails et n'a jamais eu en tête les intentions qu'on lui prête ! Les auteurs se complaisent aussi à classer les différentes aventures de Bob Morane dans des genres spécifiés : "aventures", "science-fiction", "policier", "fantastique"... Toujours cette manie récurrente de l'ordre, du rangement, l'incapacité de recevoir des textes dans leur foisonnant désordre... Au fond, ce bouquin ne sert pas à grand-chose ! Il n'est qu'une incursion intello dans un sujet léger où elle vient mettre une lourdeur conceptuelle assez prétentieuse dont on se passerait volontiers... La lecture, c'est parfois comme la gastronomie : il faut savoir la déguster et s'en régaler tout simplement ! On n'a nul besoin de connaître le détail de la recette ni les contradictions du cuisinier selon les époques ou les saisons ! Et on se fout des ingrédients et de la chaleur du four ! Pourvu que ce soit bon !...Du moins, c'est mon point de vue...Vous êtes libres de penser tout autrement ! C'est pourquoi je ne condamne pas cet ouvrage, il peut constituer un élément d'information, sans plus... Mais au fait, si vous voulez connaître les aventures de Bob Morane, on en trouve beaucoup en vente sur le site ebay d'internet, à des prix tout à fait raisonnables : une occasion de renouer avec vos lectures d'autrefois, ou pour les plus jeunes, de découvrir ce qui faisait rêver grand-père ! Vous allez vous marrer !...


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  • " Un dernier verre avant la guerre" : avec un titre pareil, vous l'avez deviné, c'est un polar ! Et comme dans tous les polars, il va y avoir une enquête... Et comme il n'y a pas d'enquête sans enquêteur, on va  trouver dans cette histoire un détective privé, Patrick Kenzie, flanqué de son assistante, la charmante Angie... Tous les deux se voient confier une mission  : rechercher une femme de ménage noire, Jenna Angelina, qui a disparu de son boulot. Pourquoi faire appel à des détectives privés et non à la police ? C'est que Jenna a disparu en emportant des documents importants qu'il importe de retrouver, des documents qu'il vaut sans doute mieux que la police ne trouve pas... Les deux détectives vont donc partir à la recherche de Jenna... On le voit, l'intrigue est simple, il ne s'agit pas de résoudre une énigme aux multiples inconnues ; l'intérêt de l'ouvrage est ailleurs : à travers cette enquête, l'auteur nous montre en effet une certaine Amérique qui tranche avec l'image triomphante que l'on connaît. Ici, tout n'est que noirceur et misère. Tout le roman se déroule dans des cités misérables, des taudis en ruine, des terrains vagues où poussent une herbe misérable... Ce ne sont que gravats, dépotoirs, ordures, vieilles palissades, chantiers abandonnés. Dans ce décor d'une pauvreté qui confine au sordide, vivent des jeunes , souvent en bandes, qui n'ont comme horizon que les terrains vagues, et qui n'ont que la drogue -le crack- pour rêver... Et quand la vie n'est qu'un combat de tous les jours pour la survie, alors il n'y a plus qu'une loi : celle de la violence, une violence inouïe et quotidienne ; on règle ses comptes à coups de revolver, la misère est jonchée de cadavres... Ce misérabilisme, cette peinture noire d'une Amérique taboue, sont particulièrement bien rendus dans cette histoire.. En outre, on découvre peu à peu que les enquêteurs eux aussi, ont eu leur part de misère dans ce monde d'une Amérique déglinguée... Mais au fait, quels sont ces documents recherchés ? Pourquoi ont-ils tant d'importance ? Pour qui sont-ils compromettants ?... Ah non, je ne vais pas vous le dire, c'est tout de même un polar et il faut donc laisser planer le mystère... Si vous voulez en savoir plus, achetez "Un dernier verre avant la guerre" : à travers un univers désespérant de noirceur, vous trouverez en prime un humour subtil et discret, souvent grinçant, toujours juste... Oui, on a ici plus qu'un polar : un témoignage, presque un document social... C'est publié dans la collection Rivages/noir, c'est le numéro 380...


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