• L'HORTENSIA

    J'en conviens volontiers : il m'a fallu beaucoup de temps pour aimer l'hortensia ; il a pourtant bien du panache ! Mais lorsque j'étais enfant, je ne savais pas l'apprécier ; l'hortensia m'attristait. Ce n'était pas de sa faute, à vrai dire, mais je le voyais toujours dans un environnement fâcheux, celui de la maison de notre voisine ; elle était vieille et ridée, notre voisine, et elle ramassait à pleines mains des araignées et des vers de terre, qu'elle donnait à ses poules qui accouraient en caquetant goulûment à la vue de ces friandises qui me faisaient horreur. Sa maisonnette, petite et vétuste, exposée au nord, était toujours à l'ombre : nul rayon de soleil ne l'éclairait jamais. La façade grise se prolongeait par un perron étriqué, avec des marches de ciment aux joints humides et moussus. Seules taches de couleurs dans cette grisaille sombre : les deux gros massifs d'hortensias qui encadraient le perron ; en juillet, c'était une explosion de grosses boules roses. Je ne sais si c'était l'effet de l'ombre humide, ou bien celui du silence presque lugubre de la maison, mais les hortensias de notre voisine m'affligeaient par leur fadeur ; leur teinte pâle éveillait en moi une indicible mélancolie, comme celle qu'on éprouve devant les fleurs artificielles des cimetières, fanées et délavées, douloureux hommages qui évoquent tristement un passé disparu, et le joli temps d'avant qui ne revient jamais. Sans doute aurais-je pu rester toujours sur cette impression première, et c'eût été bien injuste pour les hortensias. Mais heureusement, bien plus tard, devenu grand, j'ai redécouvert l'hortensia sur le granit rose des côtes sauvages de la Bretagne, comme sur le littoral pittoresque du pays basque ; et j'ai vu alors une fleur bien différente ! Finie la plante triste de l'ombre ! L'hortensia m'est apparu enfin tel qu'en lui-même : dans l'opulence de sa floraison, dans les immenses massifs étagés sur les rochers de la côte, dans l'éblouissement de ses teintes pastel offertes aux caresses du soleil, en bouquets opulents. Qu'on me pardonne donc d'avoir si peu aimé l'hortensia dans mon enfance ! Après tout, j'ai commis, moi aussi, des erreurs de jeunesse !... Mais je n'ai pas d'inquiétude, et je sais que les hortensias ne m'en voudront pas de les avoir longtemps délaissés ; les fleurs, mieux que les hommes, savent pardonner.....


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