• Jules VERNE

    LE CAPITAINE MEGO<o:p></o:p>

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    A la manière de Jules Verne<o:p></o:p>

    Par Robert Lasnier<o:p></o:p>

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    26 mars. Nous sommes  dans l’Atlantique, à environ 45° de latitude nord, à l’est d’Halifax, dans les mers froides au sud de Terre-Neuve. Le sous-marin a fait surface et ses puissants moteurs tournent au ralenti. Appuyé sur la lisse arrière du Nautilus, le Capitaine Mégo, le regard dur, scrute les vagues. A quelques encablures, on voit sombrer les restes brisés du navire à vapeur Abraham Lincoln, éperonné à une vitesse effroyable. Le navire emportait dans les profondeurs glauques de l’océan toute une cargaison de Marlboro, en provenance de Virginie et destinée à la France. Pour ma part, je n’avais pas voulu assister au terrible choc. J’étais resté assis sur le divan, dans la bibliothèque du capitaine Mégo. Je résolus de questionner le commandant à son retour. Quand il parut, après avoir fermé les portes étanches du sous-marin, il était accompagné de l’ingénieur, avec lequel il s’entretint tout d’abord :<o:p></o:p>

    -         Vous avez atteint le maximum de pression ?<o:p></o:p>

    -         Oui, monsieur, répondit l’ingénieur<o:p></o:p>

    -         Et les soupapes ont été changées ?<o:p></o:p>

    -         A six atmosphères, monsieur !<o:p></o:p>

    -         Atmosphère, atmosphère, s’écria le commandant, est-ce que j’ai une gueule… ? Mais il s’interrompit, surpris lui-même, probablement, de l’anachronisme de sa remarque…<o:p></o:p>

    Délaissant soudain l’ingénieur, le capitaine Mégo me regarda :<o:p></o:p>

    J’espère, monsieur, me dit-il, que vous aurez apprécié la rapidité avec laquelle nous venons de couler notre deuxième navire en deux jours.<o:p></o:p>

    -         Justement, répliquai-je, je ne cautionnerai jamais de pareils actes, croyez-le. Il me semble bien abominable, et fort cruel, d’envoyer par le fond les équipages de matelots de ces vaisseaux.<o:p></o:p>

    -         Cruel ? s’emporta le commandant. Et ses yeux lançaient des éclairs effrayants. La colère l’envahit :<o:p></o:p>

    -         Savez-vous ce que  contiennent ces navires que je pourchasse ?... Des cigarettes, du tabac ! Ignorez-vous que ceux qui en font commerce sèment la mort ?... Je vous fais grâce de tous les cancers, tumeurs, carcinomes qui rongent les hommes et leurs poumons par la faute de l’herbe à Nicot. Vous avez, ajouta-t-il, une bien piètre conception de l’humanisme ! L’Abraham Lincoln que nous venons de couler contenait des centaines de tonnes de Marlboro, ainsi que je vous l’ai déjà dit. Et hier, lorsque nous avons envoyé par le fond le Paméla Anderson, il transportait, derrière sa double proue volumineuse, une lourde cargaison de Gauloises jaunes au tabac de Maryland.<o:p></o:p>

    -         Pourtant, commandant, objectai-je, vous m’avez offert, ce matin même un cigare, vous-même vous fumiez…<o:p></o:p>

    Comme je disais ces mots, deux marins, qui accompagnaient le commandant se précipitèrent sur moi, m’immobilisèrent puis me giflèrent violemment, et je compris à leurs mines haineuses, qu’ils avaient cru que j’avais traité leur maître de fumier ! Le capitaine Mégo intervint aussitôt pour les calmer, et leur expliqua qu’il ne s’agissait nullement d’une insulte, mais seulement d’un imparfait de l’indicatif : « fumiez » et non « fumier ». Les deux brutes firent mine de comprendre et se calmèrent heureusement à mon endroit alors que j’étais encore tout retourné.<o:p></o:p>

    Le capitaine Mégo reprit, un léger sourire aux lèvres : Mes cigares, sachez-le, ne contiennent pas de tabac. Je les fabrique à partir des algues que je recueille dans l’océan, véritable réserve de vie. Ces algues sont irradiées par une part du rayonnement de la machinerie, ce qui les transmute en un tabac sans nicotine et sans goudrons, que je cultive dans une serre du Nautilus, à l’arrière. Mon tabac ne tue personne… Mais si les hommes ne cessent de fumer sur la terre, alors, je détruirai le monde sans le moindre remord. Car le monde sera sans fumée ou ne sera pas ! Les yeux terribles du capitaine Mego brillaient d’un éclat effrayant.<o:p></o:p>

    -         Je vous fais une ultime proposition ajouta-t-il : que l’on interdise le tabac dans tous les lieux publics, et je m’engage dès lors à vous dire le secret  des moteurs du Nautilus. Je vous le répète, martela le capitaine, il n’y aura pas de négociations possibles, je les récuse par avance. Et si vous avez l’impudence de me proposer un plan B comme pour le referendum sur l’Europe, alors je détruirai la terre ! Il me sembla qu’il me fallait intervenir. Je tenais à cette heure entre mes mains le sort de l’humanité et je ne pouvais plus tergiverser. Je m’offris alors d’être le porte-parole du capitaine Mego et de transmettre sa proposition à l’Académie Royale des Sciences à Londres ! Il accepta, puis me dit :<o:p></o:p>

    -         Venez dans mon bureau. C’est de là que vous expédierez votre message. Il tourna les talons et me précéda dans les coursives du sous-marin. Puis il me pria d’entrer dans un petit local que je n’avais point encore visité. Le capitaine Mego me désigna un appareil étrange que je ne connaissais pas. <o:p></o:p>

    -         Voici ma dernière invention, dit-il. Je demeurai stupéfait. C’était une sorte d’écran rectangulaire devant lequel était disposé un clavier. A droite, sur un petit tapis, était posée une sorte de  boîte allongée prolongée d’un câble évoquant la queue d’une souris. Je demeurai interdit.<o:p></o:p>

    -          Cette machine que vous voyez, dit le capitaine Mego, va révolutionner le monde. Je l’ai appelée ordinateur… Et cette machine envahira la terre : Surcouf… la Fnac… Darty !... <o:p></o:p>

    -           Evidemment, vous ne savez pas cliquer ! lança le capitaine sur un ton où je crus percevoir une sorte de mépris. Dictez-moi votre texte !<o:p></o:p>

    C’est ainsi que je dictai le texte suivant :<o:p></o:p>

     Au sud de Terre-Neuve, le 10 novembre, à 5h de l’après-midi,<o:p></o:p>

    A Monsieur le Professeur Barbicane, Royal Academy of Sciences, London :<o:p></o:p>

    “Capitaine Mego exige sur toute la terre arrêt tabac dans lieux publics. Stop. En contrepartie, livre secrets du navire sous-marin Nautilus. » Stop. Fin de message.<o:p></o:p>

    Deux jours plus tard, le 12 novembre, à huit heures du soir,  le Professeur Barbicane ouvrit la séance à l’Académie Royale des Sciences de Londres, devant une foule compacte et fort bruyante. Une grande agitation régnait parmi les participants assis sur les bancs du vaste hémicycle. L’ambiance était houleuse : « Mort au tabac, non au cancer des bronches !» hurlaient les uns ! « Laissez-nous fumer ! » criaient les autres… Devant ces vociférations, Barbicane se leva brusquement, comme mû par un ressort, et il prit la parole en ces termes :<o:p></o:p>

    -         Braves collègues, depuis de nombreux mois déjà, une stupide querelle nous divise fort malencontreusement au sujet du tabac. La science a tranché, messieurs. Il n’est plus douteux que les cigarettes représentent le plus grave danger pour la santé des habitants du monde et il nous faut en finir, mes amis, car il y va de la santé de tous.<o:p></o:p>

    Il est impossible de peindre l’effet produit par les paroles de l’honorable Professeur. Un tohu-bohu épouvantable suivit cette déclaration.<o:p></o:p>

    -         Assez ! Assez ! crièrent d’une seule voix les tenants du tabac ! Leurs pieds martelaient avec force les gradins. Il ne nous est pas possible d’en entendre davantage. Et notre liberté, qu’en faites-vous ? <o:p></o:p>

    -         Quelle liberté ? rétorqua Barbicane. La liberté de tousser ? la liberté de cracher ? La liberté d’étouffer ? Regardez-vous messieurs ! Ne voyez-vous pas que vous êtes incapables de cesser de fumer ! Est-ce cela que vous appelez liberté, vous qui êtes asservis au tabac ? <o:p></o:p>

    -         Barbicane a raison, hurlèrent les non-fumeurs ! Continuez, Professeur !<o:p></o:p>

    -         Mes amis, chers collègues, reprit Barbicane, je suis porteur de deux nouvelles, qu’il me faut vous communiquer et qui sont de la plus haute importance …<o:p></o:p>

    -         Lesquelles ? réclama cette fois tout l’auditoire, fumeurs et non-fumeurs réunis dans un vacarme tonitruant.<o:p></o:p>

    -         Eh bien voici, répondit Barbicane, tandis qu’il leva la main en un geste d’apaisement : Comme vous le savez, les mers du monde ne sont plus sûres. Un étrange sous-marin, mû par la force épouvantable de l’atome, sillonne les océans. Il est si extraordinaire qu’il peut accomplir le tour du globe sous les flots sans jamais faire surface. Sa vitesse est si effrayante qu’elle pulvérise celle de nos plus rapides navires de guerre. Nous savons par l’honorable Tom Hunter embarqué à bord du Nautilus, que ce vaisseau est dirigé par le Capitaine Mégo. Il a juré la perte des fumeurs et torpille, depuis plus de deux années, tous les navires transportant cigarettes, cendriers, cigares… La première nouvelle que j’ai à vous communiquer est donc que le Capitaine Mégo a accepté de se rendre et de nous abandonner tous les secrets de son sous-marin. Mais il y met une condition formelle…<o:p></o:p>

    -         Laquelle ? vociféra l’assemblée, tandis que les cris se prolongèrent un instant par la toux des fumeurs.<o:p></o:p>

    -         Mes amis, je vous livre ma deuxième nouvelle : Je viens de recevoir une dépêche de Tom Hunter : le Capitaine Mégo exige que le tabac soit dorénavant interdit dans tous les pubs ainsi que dans tous les lieux où peuvent aller et venir du public ! Si nous n’acceptons pas, messieurs, alors nous serons asservis non seulement aux clopes mais aussi à la fureur destructrice du capitaine Mégo ! Il nous faut à la fois sauver la terre et ses habitants. C’est pourquoi, je vous informe que l’interdiction du tabac sera effective au 1er janvier prochain. Il y eut des applaudissements frénétiques. Pourtant un représentant des fumeurs prit la parole :<o:p></o:p>

    -          Mais nous, les fumeurs, comment ferons-nous ?<o:p></o:p>

    -         J’ai pensé à vous, messieurs ! Et je veux vous faire ici une promesse solennelle : vous pourrez continuer à fumer, lança Barbicane !<o:p></o:p>

    Ce fut un tonnerre d’applaudissements ! Hourra ! Hourra !...<o:p></o:p>

    Le Professeur Barbicane remercia, descendit de la tribune et s’en alla rapidement. Dès le lendemain, il construirait sa fusée : celle qui enverrait les fumeurs sur la lune !...<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>


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