• Il y a dans la vie  de curieuses coïncidences. Il y en a aussi en lecture. Ainsi, devant assister à une cérémonie funèbre au crematorium du Père-Lachaise le 24 septembre, j'avais eu soin d'emporter avec moi un bouquin, pour passer le temps dans le métro... Je l'avais choisi pour sa taille, un petit livre d'une centaine de pages, peu encombrant, pour qu'il tienne dans ma poche... Or ce livre parle finalement beaucoup de mort, d'inhumation... Qui plus est, voici la phrase qui figure en exergue : "C'est ici que repose sa cendre... la moitié de sa cendre..." (Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse) Bref, j'étais dans l'ambiance, paré pour une méditation sur notre finitude... dans un silence de mort !... ! En fait, il s'agit ici d'une sorte de conte, mi-cruel, mi-ironique... Nous sommes en 1778, dans l'Oise. Deux frères, Jean et Jacques Chapelet, des bourgeois enrichis un peu niais et vaguement imbéciles, sortes de Bouvard et Pécuchet avant l'heure,  sont de grands admirateurs de Jean-Jacques Rousseau : ensemble ils lisent des pages et des pages du grand philosophe : "Le Contrat Social"... "La Nouvelle Héloïse"... Ils ne comprennent pas tout mais qu'importe, les mots sont si beaux !... Comme la plupart des imbéciles, ils n'ont pas besoin de comprendre, il leur suffit d'être grisés... Ils ont un rêve fou, accueillir chez eux Jean-Jacques Rousseau. A cet effet, ils entreprennent des travaux d'aménagement dans leur jardin, pour en faire un écrin digne de recevoir le grand homme. Hélas, les deux frères ne sont pas plus doués pour la culture botanique que pour la culture littéraire et philosophique ; tout périclite, leur jardin est comme eux, désespérément inculte,  mais ils s'acharnent. Quand soudain ils apprennent qu'un marquis a ouvert son château  d'Ermenonville, pour y accueillir Rousseau ! Les deux frères, dépités mais non découragés, se rendent à Ermenonville, pénètrent incognito dans le jardin... Un jour ils parviennent à approcher Rousseau, mais ils bafouillent et le philosophe, apeuré, s'enfuit... A quelque temps de là, alors qu'ils sont encore tapis dans le parc, ils voient passer sur le lac, dans le soir qui descend,  une barque funèbre entourée de bougies : On enterre Jean-Jacques Rousseau sur une petite île dans les jardins d'Ermenonville... Les deux frères n'accueilleront jamais Rousseau chez eux... Alors ils ont une idée : ils vont déterrer le cadavre du philosophe et le transportent chez eux, où ils l'enterrent dans un coin de leur jardin. Et tandis que la foule pleure sur un tombeau vide à Ermenonvile, les frères se recueillent au-dessus des restes du Maître, en déclamant ses oeuvres. Les années passent, un des frères, Jacques, meurt, et Jean l'enterre auprès de Rousseau... Quand soudain, en mai 1794, Jean voit ce titre à la une de son journal : "Paris ordonne le transfert de Rousseau au Panthéon". Jean déterre alors les restes de Jean-Jacques Rousseau, et les remet à leur place d'origine : dans le tombeau d'Ermenonville !... Le livre s'achève sur la surprise des fossoyeurs lorsqu'ils ouvrent le tombeau de Jean-Jacques Rousseau le 6 octobre 1794, et sur une anecdote étrange lors de la cérémonie au Panthéon... Je n'en dirai pas davantage. Si vous avez envie de partager cette surprise, lisez "Jean-Jacques" de Frédéric Richaud. N'attendez pas forcément un enterrement pour ça ! Une précision encore : celles et ceux qui souhaiteraient connaître Rousseau à travers ce livre en seront pour leurs frais : ce n'est pas le sujet !... Une remarque pour finir : le livre est écrit en français, un français simple, correct et compréhensible ; ça semble un truisme, et pourtant c'est devenu rare de nos jours, où les romans contemporains sont souvent de longs charabias verbeux  et psychologisants sur les misères intimes de l'humanité souffrante !... "Jean-Jacques" de Frédéric Richaud est publié chez Grasset - 2008 -

    Bio : Pas grand-chose sur ce petit nouveau ! Il est né en 1966 à Aubignan. Il est scénariste de B.D. Il s'est lancé dans l'écriture de courts romans à prétexte historique, ouvrages ironiques soulignant la bassesse et la bêtise... Outre "Jean-Jacques", on trouvera dans la même veine "La Ménagerie de Versailles", toujours chez Grasset : Louis XIV a créé une ménagerie à Versailles : veaux, vaches, poules et cochons... Un marquis, pour plaire au Roi, veut lui offrir un animal extraordinaire... Mais où le trouver ? Notre marquis va donc, poudré et dûment perruqué, partir en Afrique, folle aventure à l'époque,  pour en ramener la bête féroce ou l'oiseau rare qui lui apporteront, pense-t-il,  les faveurs du Roi !...Petite fable  sur la servilité de Cour !... Toujours d'actualité !...


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  • Heureusement que je suis d'un naturel résolument optimiste et que, grâce à Carrefour je positive ! Car de livre en bouquin, mes lectures sont en ce moment une longue suite d'histoires fadasses, compliquées, sans intérêt aucun. "La Mort Viennoise" n'échappe pas à cette triste séquence ! Nous sommes à Vienne, en Autriche, dans les années 1670 et des poussières... On trouve là des gueux, toute une engeance de pauvres au milieu de l'ordure et des immondices qui jonchent les rues d'alors... Dix pieds plus haut, aux fenêtres des maisons, ce sont les bourgeois qui contemplent cette lie humaine.. et puis, au château, il y a les nobles : le comte de Zizendorf et sa clique, une bande de têtes à claques qui jacassent dans leurs salons et se livrent aux futilités assez stupides des oisifs, du moins quand ils sont riches . Et ça donne ceci :

    " Le maître de céans désigna en souriant le comte de Zinzendorf, à la tâche honorifique du découpage. Celui-ci, prompt à s'exécuter, offrit à l'admiration de tous sa maestria désinvolte dans le maniement du couteau. Seul un imperceptible frémissement de ses narines trahissait ce sensuel contentement qu'il éprouvait à trancher. Le fumet, jusqu'alors captif, répandit son envoûtement. Un jeune cousin de seize ans, Mathias, dévorait des yeux cette eau-forte animée et vigoureuse, digne d'illustrer le manuel des convenances de Trincier dont les préceptes exigeants l'obsédaient ; la fonction de découper compte parmi les plus nobles ; celui qui l'assume doit lui-même être noble, droit, bien proportionné, doté de bras droits et solides, de mains légères..."

    J'ai pitié du lecteur, je n'en cite pas davantage ici.  L'histoire, qui n'en est pas une, continue ainsi, page après page, autour de la vie d'un nommé Johannes sans le moindre intérêt, et on se demande sans cesse quand l'auteur va enfin nous narrer quelque chose qui puisse nous captiver... mais rien ne vient, jamais. Cà et là, on trouve quelques thèmes qui semblent obséder l'auteur : l'urine, la pisse sont cités une bonne dizaine de fois dans le bouquin, à tout propos, ainsi que les immondices de toutes sortes !... Arrive le chapitre VII intitulé La Peste. On se dit que, enfin, il va y avoir du dramatique ! Perdu ! On ne trouve que quelques descriptions de tombereaux de cadavres ; et je ne sais pas comment fait l'auteur, mais les cadavres sont toujours des femmes, leurs jupes toujours relevées et elles montrent constamment des pubis post mortem !  Que se passe-t-il pendant la peste ? Rien, sinon que les riches fuient la ville, pour échapper au Mal, et pour que les pauvres puissent mourir tranquillement entre eux, en ville ! Johannes, le héros, qui fait partie des riches, part, en laissant pourtant sa femme Eléonore, laquelle, bien que riche, a décidé de rester en ville... La peste terminée, les nantis reviennent, Johannes retrouve Eléonore, mais celle-ci s'amourache d'un médecin... Enfin, après un dernier "clapotis d'urine" page 216, le roman s'achève, parce qu'il faut bien que tout finisse, même les mauvais livres ! Le style pompier de la fin mérite d'être cité :

    " L'avenir appartient aux punaises et aux cloportes, ou à ceux qui, comme moi, sont nés d'un croisement entre les deux. L'obscur, l'humide, voilà où il fait encore bon se tenir. Fentes et caves, trous et souterrains, boyaux, lézardes, voilà où s'est nichée la vie. Voilà d'où elle essaimera aujourd'hui et demain. - Ah ! tais-toi, cria Johannes, je veux ma part de lumière !"

    Bio : Christiane Singer est née à Marseille en 1943. Elle est décédée le 4 avril 2007 à Vienne en Autriche. Ses parents étant originaires d’Europe Centrale, elle vit d’abord en Suisse et en Allemagne, avant de s’établir près de Vienne en Autriche. Lectrice à l'université de Bâle, puis chargée de cours à l'université de Fribourg, elle suit également les cours de Durckheim, un disciple de Jung.  Elle se fait connaître à l’âge de 22 ans avec « Les cahiers d’une hypocrite » paru en 1965. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, elle reçoit le Prix des Libraires en 1978 pour "La mort Viennoise",  et le Prix Albert Camus en 1988 pour "La Divine Tragédie". Epouse du comte von Thurn-Valassina, elle habitait dans son château médiéval de Rastenberg près de Vienne, où elle se consacrait depuis plusieurs années à ses activités littéraires. Atteinte d’un cancer, elle rédige en 2007 "Derniers fragments d’un long voyage" qui retrace sa douloureuse épreuve de sa maladie.

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline><span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Œuvre Les Cahiers d'une hypocrite, 1965

     


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  • Le Rempart des Béguines fait partie de l'immense cohorte des livres sans intérêt qui ne contiennent rien, à part des gratouillis au niveau du nombril, et des chatouillis au niveau du pubis ! L'histoire est en quelque sorte une histoire de famille ; mais pas n'importe famille : une famille tuyau de poêle, où l'on s'emmanche dans tous les sens ! Voici la trame : René Noris est un notable, riche, influent dans sa ville, et veuf. Il vit seul avec sa fille, Hélène, âgée de quinze ans. René Noris consacre peu de temps à sa fille , il est trop pris par ses affaires, et aussi par le temps qu'il passe chez Tamara Soulerr, sa maîtresse. La fille, Hélène, s'ennuie ferme dans la belle maison de papa. Elle est intriguée par Tamara, la maîtresse de son père, et trouve un prétexte pour lui rendre visite : et ça ne rate pas, crac : Tamara se révèle une homosexuelle de première bourre, et voici Hélène amoureuse-dingue de Tamara ! En sorte que le roman pourrait dès lors s'intituler "Le Rempart des Bé-gouines" ! Ha ha ha ! là je suis content de moi, il m'en faut peu : un jeu de mots et je me marre !... Revenons à Hélène : la petite devient immédiatement "addict" à Tamara , et il est assez pitoyable de voir cette jeune fille qui vivait dans une solitude tranquille, passer sans transition dans une passion qui lui fait finalement plus de mal que de bien.. Elle laisse tomber ses cours, elle ne fait plus rien ! C'est le rut, dans ce qu'il a de plus banal. Et comme elle est une fille, le cul devient pour elle une obsession monomaniaque permanente : y a plus que ça qui compte !... Dès lors, le roman pourrait s'arrêter, toute la suite n'est qu'une longue séquence de déchirements, de bisous, de colères, d'éloignements, de larmes, de caresses, d'angoisses, de douleur, de déchirements... Hélène est jalouse de Max, un vieux copain de Tamara... Mais pas jalouse de son papa, avec lequel elle partage Tamara. Car Tamara est une femme-artichaut, elle donne une feuille à tout le monde ou à peu près, pourvu qu'il ait un solide compte en banque tout de même : l'amour n'est aveugle que jusqu'à un certain point !... Finalement, le comble du mélo romanesque est atteint lorsque Tamara annonce à Hélène qu'elle va épouser son père ( le père d'Hélène !). Bien entendu, Hélène touche le fond du désespoir et elle nous fait le coup du "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé" ! Et puis tout s'arrange, la petite consent enfin à grandir :  elle assiste au mariage de son papa avec Tamara, puis elle va se coucher et le moral lui revient soudain à la dernière page du bouquin, lorsque, dans l'obscurité, elle se met à rire !... Ouf ! On est bien content pour elle ! Bref, un roman nul, un invraisemblable salmigondis familial, dans un style plat, sans intérêt ni relief ! A bannir de toute bibliothèque, sans regrets, sans remord, sans scrupules !

    Bio : Françoise Mallet-Joris est une romancière belge mais qui a aussi la nationalité française de par son mariage avec un français... Née le 6 juillet 1930, elle a connu la célébrité avec "Le Rempart des Béguines", publié à l'âge de 19 ans, sans qu'on en ait fait "tout un foin" comme ce fut le cas quelques années plus tard pour "Bonjour tristesse" de Sagan. Pour la petite histoire, à la rubrique "people", disons que Françoise Mallet-Joris a eu trois maris : Robert Amadou pour lequel elle s'est d'abord enflammée ( évidemment, l'amadou !!!...), avant d'épouser Alain Joxe, puis Jacques Delfau. Toujours à la rubrique des potins, elle a eu quatre enfants : Daniel (avec Amadou), puis Vincent, Alberte et Pauline avec Delfau... Le lecteur attentif et perspicace en déduira de lui-même qu'elle n'eut donc pas d'enfant avec le deuxième mari, Alain Joxe, qui a assuré seulement une mission d'intérim entre le premier et le troisième. Mais ne nous éloignons pas trop de la littérature ! Françoise Mallet-Joris fut également la parolière de la chanteuse Marie-Paule Belle, qui justement ne l'était pas très malgré son nom... De 1969 à 1971, Françoise Mallet-Joris fut membre du Comité du Prix Fémina, avant d'être élue à l'Académie Goncourt en novembre 1971. En 1993, elle entra à l'Académie Royale belge de langue et de littérature française, pour occuper le siège qu'occupait sa mère, décédée en 1992.

    Autres oeuvres de Françoise Mallet-Joris : Les mensonges (Prix des Libraires 1956), L'Empire Céleste (Prix femina 1958), Portrait d'un enfant non identifié (2005)


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  • "La Maison-du-chat-qui-pelote"   est une oeuvre de Balzac, qu'on a un peu de mal à classer : un peu long pour une nouvelle, un peu court pour un roman. Mais qu'importe. Ce récit permet une bonne approche de l'univers de Balzac. tant par l'histoire racontée, la psychologie des personnages que par la langue employée : une écriture classique, mais qui fait la part trop belle à certains archaïsmes ainsi qu'à des caprices de l'auteur, qui s'acharne par exemple à employer le verbe "harmonier" au lieu d'écrire comme tout le monde "harmoniser"... Mais oublions la forme, laissons ces analyses pointues aux étudiants en Sorbonne et plongeons-nous dans la lecture... "La Maison-du-chat-qui-pelote" est l'enseigne d'un magasin de tissu. La boutique est dirigée par les époux Guillaume, deux boutiquiers cupides, âpres au gain. Ils ont deux filles. L'aînée se prénomme Virginie, elle a 28 ans, elle est laide, c'est un "thon"comme on dirait aujourd'hui dans les cours de récré. La cadette, Augustine, a 18 ans et elle est très belle : les voies de la génétique, autant que celles du Seigneur, sont impénétrables... Dans le magasin, le commis tombe amoureux d'une des filles, devinez laquelle !....Bingo ! vous avez gagné : la plus jeune, la plus belle... pas le thon évidemment ! Comment faites-vous pour être aussi perspicaces ?... J'en suis ahuri ! Mais le boutiquier a d'autres vues : il souhaite, lui, que son commis épouse l'aînée, la moche ! Le commis hésite... mettez-vous à sa place !... Pendant ce temps, un artiste peintre, cultivé, intelligent et mondain, lorgne lui aussi la petite Augustine ! Quant à la jolie Augustine, elle ne balance pas longtemps : entre le terne commis un peu niais et le brillant peintre d'une intelligence étincelante, elle se rue sur ce qui brille et épouse le peintre, tandis que le commis se contente du second choix, en épousant Virginie... La suite se devine assez aisément, dans un monde moralisateur où il importe de consoler les gens des disgrâces du monde et de leur ôter les envies de gloire ! Et donc, la petite Augustine, devenue par son mariage madame de Sommervieux, sera très malheureuse auprès d'un artiste volage, méprisant, et qui la délaisse au profit des ors des salons et des courbes affolantes autant que ruineuses des jolies femmes qui rient trop fort dans les salons. Dans le même temps, bien sûr, le commis vivra heureux auprès de Virginie, laquelle fait oublier sa laideur par un sens avisé des affaires : "La Maison-du-chat-qui-pelote" devient une affaire prospère : voici donc la belle Augustine devenue pauvre et malheureuse, tandis que la laide Virginie coule des jours heureux et dorés... Il y a tout de même une justice en ce bas-monde, ah mais !!!.. Il ne reste plus qu'à écrire le mot "fin", mais auparavant, Balzac va plus loin encore  : la belle Augustine déchue meurt à 27 ans, consumée par le chagrin et la désillusion  ! Caprice d'auteur ? Non hélas, et Balzac sait de quoi il parle, car l'histoire d'Augustine est, à peine transposée, celle de la soeur cadette de Balzac, Laurence. Elle avait épousé, à 19 ans, un noble futile, et est morte, délaissée, à 27 ans... C'est ce drame personnel que Balzac nous raconte dans "La Maison du Chat qui pelote". Dans ce livre, c'est aussi toute une époque révolue qui nous est montrée, un témoignage sur des moeurs enserrées dans des convenances d'une terrible rigueur et d'une rare cruauté... Une confidence pour finir : Je ne sais pas vous, mais moi j'ai du mal à lire Balzac : ses phrases râpeuses écorchent ma lecture, les tournures sont souvent alambiquées et lourdes, son écriture a quelque chose de vraiment désuet... Mais bon, ce n'est là que mon ressenti... A vous de vous faire une opinion ; il vous suffit pour cela de lire "La Maison-du-chat-qui-pelote"... Et ne me dites pas que vous n'avez pas le temps, ça ne fait que 80 pages ! Pas long... pas cher, vous n'avez aucune excuse : lisez !.


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  • La Modification, paru en 1957, s'inscrit dans le mouvement littéraire qu'on a appelé le "Nouveau Roman", dont Alain Robbe-Grillet fut le chef de file. Michel Butor a obtenu le Prix Renaudot avec ce roman. Pourtant sa lecture m'a surpris : où est donc la nouveauté dans ce livre ? Oh certes, on décèle bien quelque chose de nouveau, essentiellement dans la forme : presque tout le récit est écrit à la deuxième personne du pluriel de politesse, et ça commence comme ça dès le début  : "Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant. Vous vous introduisez par l'étroite ouverture en vous frottant contre ses bords, puis, votre valise couverte de granuleux cuir sombre couleur d'épaisse bouteille, votre valise assez petite d'homme habitué aux longs voyages, vous l'arrachez par sa poignée collante, avec vos doigts qui se sont échauffés, si peu lourde qu'elle soit, de l'avoir portée jusqu'ici, vous la soulevez et vous sentez vos muscles et vos tendons se dessiner non seulement dans vos phalanges, dans votre paume, votre poignet et votre bras, mais dans votre épaule aussi, dans toute la moitié du dos et dans vos vertèbres depuis votre cou jusqu'aux reins."  Ouf ! Au passage, vous avez remarqué la longueur insoutenable de la deuxième phrase ? J'ai eu peur qu'elle ne finisse jamais et je me suis dit : ça commence bien, le Nouveau Roman !  En outre, avez-vous remarqué l'insignifiance de cette phrase interminable ? ce long bavardage mesquin sur une valise et sur les douleurs diverses qu'elle occasionne aux muscles, aux bras, à telle phalange ?  Moi, ce luxe de petits détails m'ennuie prodigieusement.. Quel verbiage ! Et ce pointillisme analytique se retrouve tout au long du livre : les chapitres défilent comme défilent les gares, car le héros est dans le train au début du roman, pourquoi pas ? Le problème c'est que page 278, il est toujours dans ce même train qui va de paris à Rome. A l'évidence on ne connaissait pas encore le TGV dans les années 60 !Il est vrai que le père de Michel Butor était employé aux Chemins de Fer du Nord !... Et tout au long des chapitres et des gares, Michel Butor nous raconte l'histoire de son héros : il habite Paris, dans le quartier de l'Odéon. Bel appartement, une domestique zélée, un luxe de bon aloi, un métier lucratif... Bref tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si son épouse, Henriette, n'était devenue une femme vieillie et chenue, grise et fade. Or notre héros, dans le cadre de son boulot, se rend souvent à Rome par le train, et voyage en première classe, aux frais de son patron évidemment... Alors, quand il rencontre à Rome la jeune et belle Cécile, il saute sur l'occasion (et sur Cécile ça va de soi !). Il décide de l'aider à s'installer à Paris... Tout le livre nous raconte cette histoire somme toute bien banale, cette scie, cent fois radotée dans la littérature comme dans la vraie vie, de l'épouse vieillissante quittée pour une jeunette, tant il est vrai  que l'amour rejoint un constat que chacun peut faire en gastronomie : le foie de veau est plus tendre que le foie de génisse ! Et le voyage dans le train est prétexte à l'évocation de tous les menus faits de cette rencontre, de ce nouveau départ dans la vie envisagé, avec une accumulation infernale de détails sans intérêt : les gestes des autres voyageurs, leur allure, leurs vêtements, le wagon-restaurant, le contrôleur, la couleur du ciel vue du couloir ou du compartiment du train. En outre, l'auteur procède à un insupportable étalage des richesses culturelles de Rome : pédant et chiant ! Là où, tout de même, une originalité se fait jour, c'est que les sentiments du héros évoluent, et subissent peu à peu une modification, d'où le titre du roman... Ainsi, Cécile, magnifiée et déifiée tant qu'elle est à Rome, sorte d'entité inaccessible, deviendra à Paris une femme de peu d'intérêt, pire : gênante... A vrai dire, je me doutais de cette modification bien avant la fin, à cause d'un détail sordide et révélateur : tandis que notre héros voyage toujours en première classe pour ses voyages d'affaires remboursés par sa boîte... il voyage en troisième classe quand il va rejoindre Cécile à Rome ! Car là, c'est lui qui paie, et ça change tout ! Là j'ai eu un doute : un Grand Amour qui ne vaut pas un billet de première classe payé de sa poche, ça ne peut pas aller bien loin !... J'avais raison... Terminus tout le monde descend, j'ai refermé le bouquin en m'étirant un peu. Ce voyage au pays de la lecture m'a bien fatigué.

    Bio : Michel Butor  est né en 1920 à Mons-en-Baroeul dans la banlieue de Lille. Son père travaillait aux Chemins de fer. En 1929 la famille s’installe à Paris et Michel  va à l’école Saint-François Xavier. En 1939, au moment de la guerre, la famille reflue vers Evreux. En 1940, Michel Butor entre en seconde à Louis-Le-Grand à Paris. En 1944, il entre à la Sorbonne et obtient une licence de philosophie.  C’est en 1945 que paraît son premier texte : « Hommage partiel à Max Ernst ». Passionné de surréalisme, Michel Butor rencontre en 1946 André Breton.  En 1950 il est professeur au lycée de Sens. Son premier roman « Passage de Milan » est publié en 1951.

    En 1956, il obtient le prix Fénéon pour son deuxième roman : » L’Emploi du temps ».

    En 1957, il séjourne à Rome ; puis publie la même année  La Modification qui lui vaut le prix Renaudot. Il participe dès lors de l'école du "Nouveau Roman"

    En août 1958 il épouse Marie-Jo.

    En 1959, il donne des conférences en Hollande, en Allemagne, au Maroc. Malgré cet emploi du temps chargé, naissance de Cécile, la première de ses quatre filles.1960 : naissance de sa deuxième fille : Agnès. 1962 : naissance d’Irène ; 1967 : naissance de Mathilde, la petite dernière !

    Butor a été professeur de langue française à l'étranger (notamment en Egypte) et professeur de philosophie à l'Ecole Internationale de Genève dans les années 1950. Ensuite il a commencé une carrière universitaire comme professeur de littérature, tout d'abord aux États-Unis, puis en France à l'université de Nice et finalement à l'université de Genève jusqu'à sa retraite en 1991.

    Michel Butor est connu du grand public comme romancier, et en particulier comme l'auteur de La Modification. Cette image de l'auteur est probablement injuste, dans le sens où Michel Butor a définitivement rompu avec l'écriture romanesque après Degrés, en 1960, avec la publication de Mobile en 1962.

    Après avoir essayé dans ses premiers livres de concilier à la fois un certain détachement de la forme traditionnelle du roman et une volonté de représenter le monde contemporain, se rattachant ainsi au groupe du Nouveau Roman, il choisit des formes nouvelles expérimentales, à partir de Mobile, grand ouvrage fait de collages divers (encyclopédies américaines, descriptions d'automobiles, articles de journaux, etc.) pour essayer de rendre compte de la réalité étonnante des États-Unis contemporains. Michel Butor a ainsi collaboré avec un très grand nombre de plasticiens pour réaliser des livres-objets.

    Michel Butor depuis une quarantaine d'années se positionne donc dans un espace poétique, au sens large, au détriment d'une approche plus traditionnellement romanesque. Il est à l'heure actuelle l'un des écrivains vivants francophones d'une stature internationale reconnue. Il vit et travaille à Lucinges, un village de Haute-Savoie proche de Genève.

    En 2006, vient de commencer la publication de ses œuvres complètes en dix volumes par les éditions de La Différence sous la direction de Mireille Calle-Gruber.

     


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